Mgr Mounir, évêque de Batroun (Liban) et ami de notre groupement nous donne des nouvelles du Liban

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Très chers amis  

Je suis à Beyrouth, ville ensanglantée, et sur la scène de la catastrophe, depuis le matin, avec plus de cent jeunes du diocèse, pour nous tenir aux côtés de mon confrère Mgr Paul Abdessater, archevêque de Beyrouth, de ses prêtres et de son peuple et leur exprimer notre solidarité et notre proximité.  

8 h 30 : Mgr Paul Abdessater nous accueille dans son archevêché dévasté par la double explosion de mardi 4 août, avec ses prêtres et les organisateurs des actions de secours. Des centaines d’autres jeunes nous rejoignent de tous les diocèses du Liban.  

Le responsable indique à nos jeunes les sites où ils doivent aller, en plusieurs groupes, pour aider les gens, dans leurs maisons et appartements, à déblayer les débris de verre, les remblais, les décombres, les éboulis…  

8 h 45 : Les jeunes sont partis, selon les consignes, rejoindre leurs lieux de service.    

Restant à l’évêché, Mgr Paul me fait visiter les lieux. Arrivés au quatrième étage, qui est juste en face du port, dans son bureau où tout a sauté, il me dit : « j’ai été sauvé par miracle. Regardez, je devais être là, mais j’ai senti quelqu’un me pousser à me déplacer juste quelques secondes avant la double explosion … ».    

Je suis parti ensuite vers l’église historique prestigieuse de Saint Maroun au centre-ville, non loin du port. Père Richard Abi Saleh, curé, à qui j’avais téléphoné mardi soir, m’accueille et me fait voir l’église délabrée. Les échafaudages sont déjà installés pour la restauration. Quel courage ! Les murs au-dessus du chœur doivent être consolidés. Puis il me fait visiter le presbytère très ancien ; il ne reste plus rien. Il me dit : « les architectes me recommandent de démolir ». Il suffit de regarder les photos que j’ai prises.   

Mon émotion était au comble. Je demande une tasse de café. La secrétaire, toute désolée, me dit : « il n’y a plus de cuisine ; tout a sauté ! ».  Mais elle finit par se débrouiller ; et nous avons eu notre café.  

Pour continuer mon tour dans les rues de Gemmayzé et rejoindre mes jeunes, Père Richard me propose une moto avec son « chauffeur », car il était impossible d’entrer en voiture, tellement les rues étaient encore dévastées.  

Je commence mon tour en moto. J’ai le cœur serré en regardant de tous les côtés.        

Des scènes qui ensanglantent le cœur : l’horreur, la désolation, la colère, la destruction partout, les rues entassées de remblais, de débris de verre, de centaines de voitures éventrées ou calcinées, des immeubles détruits ou sur le point de tomber …  

Mais, également dans les rues et les immeubles, des milliers de jeunes venus de toutes les régions libanaises et de toutes appartenances confondues, dépassant tous les clivages confessionnels, religieux ou politiques, et se donnant avec joie et enthousiasme pour aider les propriétaires et les locataires des magasins, des appartements ou des immeubles à remédier à leurs blessures et à déblayer ce qui reste de leurs domiciles. Ils sont le Liban de demain et la forte espérance de la résurrection et de la reconstruction !  

« Abouna (Mon père), me dit le propriétaire de l’appartement d’un immeuble situé en face du port où un groupe de mes jeunes s’affairaient, ma famille est sauvée par miracle.  Dieu soit loué ; mais une jeune fille de l’appartement en face est décédée, et les habitants de l’immeuble ont été blessés et ont tout perdu. Cependant, la présence de ces jeunes nous console, nous réconforte dans notre tragédie, nous encourage dans notre foi en Dieu et nous reconfirme dans notre volonté de reconstruire pour la énième fois. Nous rendons grâce au Seigneur pour ces jeunes et pour la grande solidarité ! ».  

En descendant, tout ému, je n’ai pas pu m’empêcher de dire ma colère et de me demander : Qu’attendent nos responsables de la classe politique corrompue, après cette horrible catastrophe, pour ouvrir grands leurs yeux,  leurs oreilles et leurs cœurs, entendre les remords ou la torture de leurs consciences, se repentir et dire avec Zachée : « Eh bien, Seigneur, je fais don aux pauvres de la moitié de mes biens et, si j’ai fait tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple » (Lc 19,8) ? Serait-ce possible ? Ils pourront alors accomplir leurs devoirs pour sauver les citoyens, l’Etat et la patrie.   

Beyrouth est détruite et il ne reste plus grand-chose !  

Le temps de demander des comptes et de juger les responsables est arrivé ; et aussi le temps du changement !  

Nous gardons pourtant l’espérance que quelque chose changera. Le déclic a été donné par la visite historique, ô combien importante et symbolique, du Président français Emmanuel Macron au Liban hier qui a dit « clairement et en toute franchise » : « c’est le temps des responsabilités aujourd’hui pour le Liban et pour ses dirigeants ».  

Les jeunes y croient, et nous aussi, car Dieu n’abandonnera pas son peuple et Notre-Dame du Liban et nos saints nous portent par leur intercession. Nous comptons sur eux.  

De Beyrouth blessée, le vendredi 7 août 2020.

† Père Mounir Khairallah 
Évêque de Batroun  

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