Homélie 3ème dimanche de Carême

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Ces jours-ci, nous sommes abasourdispar le mal : le mal commis par certains hommes d’Eglise, la violence et la haine qui se déchaîne dans le monde, les catastrophes naturelles.Notre Évangile montre Jésus face à la question du mal qui existe dans ce monde et comment réagir.

D’abord, des gens viennent interroger Jésus sur un fait divers qui les choque. Des personnes massacrées par le gouverneur romain en pleine prière ! Comment Dieu peut-il permettre cela ? À quoi ça sert d’être religieux si ça ne nous protège pas ? Comment Dieu peut-il laisser le massacre de Christchurch en Nouvelle-Zélande ? Cette actualité les trouble, elle nous trouble.

Ensuite, Jésus ajoute un second fait d’actualité, la mort de 18 personnes à cause de la chute de la tour de Siloë. Nous avons ainsi les deux grandes causes de l’existence du mal dans le monde: La première cause, illustrée par le massacre de Pilate, c’est la méchanceté de l’homme. La seconde cause, c’est le manque de chancepour les 18 qui étaient là au mauvais endroit au mauvais moment, c’est la nature, qui fait que tout ce qui est matériel en ce monde s’use, bouge, est fragile et finit par tomber.

Il n’y a donc pas que le mal dû au péché de l’humain, la nature aussi déraille en partie. Et Jésus insiste pour dire que dans les deux cas la mort de ces personnes est injuste. Aucune catastrophe n’est une punition de Dieu, ni même sa volonté.

Alors, comment faire face aux mauvaises choses qui arrivent en ce monde ? Et que fait Dieu pour nous aider ? Et à quoi est-ce que ça sert de le prier ?

Jésus nous permet d’y réfléchir à travers la parabole du figuier, qui reprend un texte du prophète Isaïe, le chant de la vigne, mais qui le transforme en profondeur pour nous aider aussi à changer notre façon de voir la vie.

Dans le chant de la vigne, Isaïe exprimait la douleur de Dieu face au mal qui existe dans ce monde qu’il aime: « Je chanterai Le chant de mon Seigneur sur sa vigne. Il espérait qu’elle produirait de bons raisins, Mais elle a produit des fruits infects ! » (Is 5, 1). Dieu aime sa création, il aime l’humanité, il aime chaque personne, il aime cette planète où nous vivons. Dieu a tout fait, tout préparé pour qu’une abondance de bons fruits puissent être produits par chacun. Et au milieu de fruits de justice, de paix et de bonheur, voilà qu’il y a aussi du sang versé, des cris de détresse. Ce chant de la vigne d’Isaïe était un appel à ce que nous portions enfin de bons fruits, sinon, Dieu va nous retirer sa bénédiction…

Jésus a entendu le désespoir des gens qui viennent le voir, c’est pourquoi il reprend la parabole d’Isaïe qui exprime l’écart entre l’espérance de Dieu et la réalité. Mais Jésus ne s’arrête pas cette fois-ci aux fruits de la vigne, tantôt bons ou tantôt délicieux, il s’intéresse au figuier planté dans la vigne, et à ses fruits.

Qu’est-ce que Jésus veut nous dire à travers le figuier ? Au temps de Jésus, la Bible était comparée à la figue. Pourquoi ? Parce que tout dans la figue, il n’y a pas de noyau, tout est bon, comme dans la Bible. Parce que chaque petit bout de figue est fécond, avec tous ces petits pépins répartis partout, donnant un figuier s’il est planté en terre, comme la moindre parole de la Bible est féconde. Parce que dans un figuier il y a toujours une petite figue mûre cachée derrière une feuille si l’on cherche bien. Bref, le figuier évoque l’étude de la Bible pour les contemporains de Jésus.

Face à l’existence du mal qui est dans le monde, devant les mauvais fruits de la vigne, qui sont de graves questions, Jésus nous dit que la priorité est de soigner le figuier qui est dans la vigne. Figuier que nous avions peut-être un peu oublié devant le problème des grappes pourries.

L’urgence, face aux problème du mal dans le monde, estd’aller, comme l’homme de cette parabole, d’aller chercher du fruit à son figuier, d’aller travailler la Bible, la lire, la méditer, l’interpréter, la partager entre nous.

Face à la violence de Pilate, Jésus aurait pu interpeler ses auditeurs en les appelant à ne pas vivre comme des petits Pilate eux-mêmes. C’est ce que fait Isaïe. Suite à l’accident de la tour de Siloé, Jésus saurait pu nous faire la leçon sur le principe de précaution, ou sur la fragilité de notre existence. Et bien non, face au problème de notre vigne, Jésus appelle à la conversion du figuier. Jésus nous invite à aller voir le figuier, à aller voir la Bible pour voir comment elle peut nous nourrir, pour voir comment elle peut changer nos comportements, pour voir comment elle peut nous donner des raisons d’espérer, une force intérieure, un autre regard sur le monde. Jésus convertit notre vision de la conversion, non pas une conversion de nos actes, mais un accueil de sa Parole.

Mais nous lisons peut-être la Bible, nous prions, nous allons à la messe et nous avons le sentiment que cela ne nous aide pas à vivre, et à avancer face aux difficultés. Peut-être que nous avons envie de tout envoyer balader, un peu comme le maître de cette vigne qui dit son désespoir : « Voilà 3 ans que je viens chercher du fruit à ce figuier, et je n’en trouve pas. Coupe-le : pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? »

Nous avons peut-être besoin d’écouter le vigneron de cette vigne, qui représente Dieu dans cette parabole, et qui vient éclairer notre conscience, nous soufflant de nous pardonner, à nous, à notre humanité, à notre foi, de nous pardonner encore ne serait-ce qu’un an, puis un an, puis un an encore. Jésus nous dit ce que Dieu peut faire en nous. Dieu nous appelle Maître, respectant notre intimité profonde. Maître, si tu le veux bien : « Pardonne au figuier encore cette année, d’ici-là je creuserai tout autour de lui et j’y mettrai du fumier. »

Là encore, Jésus va chercher la solution du problème à la racine. Face au mal, il nous appelle à soigner notre lecture de la Parole de Dieu. Face au vide que nous éprouvons dans notre foi, il nous invite à aller à la racine. Si notre lecture de la Parole n’est pas nourrissante pour vivre… c’est qu’il faut creuser. Et creuser, c’est lire en profondeur la Parole, ne pas rester à la surface des choses, mais découvrir ce que Dieu nous souffle à travers chaque mot de cette parole.

Ensuite Jésus nous apprend à y mettre du fumier. Le mot est très cru, ce sont nos excréments, et tout ce qui nous est tombé dessus de sale, de dégoûtant, de honteux et de désespérant. Notre lecture de la Bible et notre prière ne porteront des fruits que si nous y mettons notre vie, si nous les nourrissons de nos regrets, de nos larmes, de nos souffrances, de nos indignations, de nos fautes. Notre prière et notre lecture ne doivent pas être intellectuelles, mais nourris par notre actualité, notre vie, nos réussites et nos échecs, c’est ainsi qu’elle sera féconde.

Mais souvent, nous n’avons pas la force de creuser et nous avons tellement honte de nos saletés que nous préférons ne pas les voir, encore moins les montrer, et encore moins demander pardon. Mais ici, le vigneron, Dieu, ne dit pas à l’homme qu’il devrait creuser et y mettre son fumier, mais Dieu lui propose de le faire pour lui. La question est de laisser par la prière Dieu travailler en nous, nous soigner en creusant tout autour de notre arbre de foi, d’espérance et d’amour, à la racine de notre recherche de ce qui est juste et bon pour nous. Par la prière nous pouvons laisser Dieu racler le fond de nos écuries et de nos égouts pour nous en purifier, pour le recycler, nourrir notre conscience.

Si Dieu lui-même espère en nous, espère en l’humanité, pourquoi désespérerions-nous ? « Maître », nous dit Dieu (!), « pardonne encore cette année », et embauche-moi pour soigner ton figuier, pour creuser et convertir en bénédiction ce qui était pourri.

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