Homélie du 5ème dimanche de Pâques à St Gratien et Enghien

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Efficacité ou fécondité ?

 

Le témoignage du responsable d’une association d’aide à la réinsertion des SDF, que j’ai lu récemment, m’a beaucoup marqué. Il écrivait que, dans son travail, deux logiques entraient souvent en opposition. D’abord, la logique de l’efficacité : sortir le plus grand nombre de personnes de la rue, le plus vite possible. C’est la logique du monde actuel : aller vite et en faire plus ! Mais ce n’est pas la logique qu’il faut choisir dans son association, selon lui.

Il lui préfère la deuxième logique : la logique de la fécondité. La fécondité est une notion plus complexe à définir, que l’on perçoit seulement grâce à l’expérience. La question ici est plus : à la fin de tout le processus, combien de personnes seront réellement réinsérées ? Quand on entre dans cette logique, il y a parfois une perte d’efficacité ponctuelle (moins de personnes suivies), mais des fruits plus importants sur le long terme (plus de personnes vraiment sorties de la rue). Cette logique s’inscrit dans la confiance (dans l’avenir, dans les autres – SDF ou bénévoles). On accepte le fait que nous ne voyions les résultats de nos actions que de manière partielle. Les fruits peuvent être tardifs (par exemple, l’échec d’une situation où l’on n’a pas réussi à sortir un SDF de la rue peut très bien donner des fruits plus tard : un chemin a peut-être été ouvert pour ce SDF ; ou bien d’autres, touchés par le soin apporté à cette personne, se seront mis eux-mêmes en route ; etc.)

La logique de l’Evangile est clairement une logique de la fécondité : l’expression « porter du fruit » est répétée 6 fois dans le texte de ce jour !

Avec le Seigneur, quand on entre dans cette logique, il est possible de « porter du fruit » dans toutes nos actions : bénévolat associatif, services d’Eglise ; mais aussi : relations de couple, éducation des enfants ; et également : travail salarié lui-même (il faudrait une étude plus approfondie sur ce dernier point, pour montrer comment la logique de la fécondité, plus fondamentale, n’empêche pas d’être efficace et très compétent dans son métier !)

Voici trois critères pour entrer davantage dans la logique de la fécondité (et porter « davantage de fruits » – et donc, « faire la gloire du Père » !) :

–     Préférer la « durée » à « l’instantané » : cela permet d’aller plus loin, même si on va parfois ponctuellement un peu moins vite …

–      Privilégier la qualité (le « mieux ») à la quantité (le « plus »)

–     Rester ouvert à l’inattendu, en prenant soin des relations : parfois, on porte du fruit sans s’en apercevoir, alors que la seule maîtrise des résultats risque de plafonner, et même d’abîmer des relations ! Une bonne relation interpersonnelle est toujours plus importante sur le long terme que la réussite d’un projet, d’une organisation, aussi saints soient-ils…

Voici également deux citations bibliques qui peuvent nous aider à changer de logique :

–      « L’un sème, l’autre moissonne. »(Jn 4,37) : cela nous invite à l’humilité. Notre action est limitée et s’inscrit dans un ensemble plus vaste, que nous ne pouvons pas toujours mesurer. Nous bénéficions des efforts des autres, et les nôtres peuvent porter du fruit pour d’autres.

–      « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. »(Jn 12,24) : cela nous invite à l’espérance. Il y a une fécondité cachée dans nos vies, qui ne se voit ni ne se mesure pas toujours. Même dans des situations d’échec apparents, il peut y avoir des fruits inespérés, lorsque l’on reste uni au Christ.

Un exemple, pour conclure : Sainte Elisabeth de la Trinité, lorsqu’elle était jeune fille, avant d’entrer au Carmel de Dijon, priait intensément pour la conversion du propriétaire de la maison où habitait sa famille. Mais, en dépit de ses prières renouvelées, celui-ci n’a pas montré beaucoupde signes de changement… En revanche, touchée par la persévérance de la prière d’Elisabeth, sa propre sœur, jusque-là indifférente à l’entrée d’Elisabeth au Carmel, deviendra sa plus fidèle alliée, et l’aidera à convaincre leur mère, qui avait beaucoup de mal à accepter cette idée. Alors : prière inefficace, ou prière féconde ?

Père Edouard George

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