Homélie du 2ème dimanche de l’Avent à Enghien

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« Le loup habitera avec l’agneau. » (Is 11,6)

 

La proximité d’un loup et d’un agneau est inenvisageable : il suffit de demander à un éleveur de moutons ce qu’il en pense…

Alors, de qui parle ici le prophète Isaïe, de quel loup et de quel agneau ? Et quelle est cette mystérieuse cohabitation dont il est question ? Comment peut-elle se réaliser ?

 

De quel loup et de quel agneau s’agit-il ?

Le prophète Isaïe parle ici de l’humanité, au plan individuel comme au plan collectif.

Le « loup », c’est la part de violence qui habite l’humain. L’« agneau », c’est la dimension fragile, vulnérable, de l’humain.

Chaque humain, et l’humanité tout entière, est rempli de forces vives, désordonnées ; de sentiments, de pulsions, d’émotions parfois violentes, de désirs et d’envies qu’il est impossible de maîtriser totalement : voilà le « loup ». Dans la Bible, les tribus d’Israël sont associées chacune à des animaux. Benjamin, par exemple, est associé à un « loup » qui déchire et dévore. Les rapports humains, emprunts de peurs, de domination, sont adéquatement symbolisés par l’image du loup. Il en est de même des rapports entre les nations.

Quant à l’« agneau », il représente la part fragile de l’humain, que ce soit la faiblesse intérieure à chaque individu, ou bien l’ensemble des personnes qui sont davantage dans une situation de faiblesse (par exemple les personnes âgées, les personnes handicapées ou malades, etc.)

 

La cohabitation du loup et de l’agneau

Ce que le prophète Isaïe met ici devant nos yeux, c’est le fait que loup et l’agneau puissent habiter ensemble. Il ne s’agit pas de tuer le loup ni de rendre l’agneau féroce et dur, mais de permettre aux deux, le loup et l’agneau, de cohabiter.

Tuer le loup, c’est la tentation de détruire la violence par une nouvelle violence. Or, d’après le prophète Isaïe, le loup ne doit pas être éradiqué : lui aussi doit continuer à vivre. Les sentiments violents, les désirs incontrôlés, ont leur place dans la vie humaine. Ce serait une illusion de croire qu’on peut les nier. Tenter de les annihiler serait une nouvelle violence sans issue.

D’un autre côté, vouloir rendre l’agneau plus fort, c’est la tentation de nier la part fragile de l’humain et de l’humanité, la tentation de transformer l’agneau en loup. Il ne doit pas en être ainsi : l’agneau aussi doit avoir toute sa place. La grandeur de l’humanité se mesure à sa capacité de donner droit de cité à ce qui est le plus fragile en l’humain, à ceux qui sont le plus vulnérables dans une société.

Ainsi, il ne s’agit pas tant de refuser la violence ou la vulnérabilité, qui sont inhérentes à la nature humaine, que de leur permettre de vivre en harmonie. Orienter, canaliser la violence et la force, sans les détruire, c’est domestiquer le loup. Laisser vivre l’agneau, c’est permettre à la fragilité d’être reconnue et acceptée.

Gn 1,26 dresse ainsi le chemin de l’humanisation, ce passage de l’animalité à la divinité : « Faisons l’humain en notre image, comme notre ressemblance ; qu’il maîtrise le poisson de la mer, le volatile des cieux et le bétail. » Devenir humain, à l’image de Dieu, c’est être « le pasteur de sa propre animalité » (Paul Beauchamp), c’est maîtriser l’animalité intérieure, c’est permettre au loup et à l’agneau de cohabiter en nous.

 

Comment réaliser cette cohabitation ?

Cette cohabitation du loup et de l’agneau n’est-elle pas une utopie ? Est-elle possible, est-elle réalisable ?

Le livre du prophète Isaïe nous donne une réponse dans la suite du texte : « Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. » C’est le « petit garçon », le Christ que nous attendons à Noël, qui permettra au loup et à l’agneau, comme au veau et au lionceau, de cohabiter.

Seule la grâce du Christ permet de réaliser le projet divin d’une humanité enfin réconciliée, d’une relation pacifique avec soi-même et entre les hommes.

Par la parole du « petit garçon », le Verbe fait chair, qui conduit et guide le loup et l’agneau, qui tempère la violence du loup et exalte le courage de l’agneau, la cohabitation est possible. Dans la grâce du Christ, le loup et l’agneau ne sont pas face-à-face (ce serait un carnage !) mais ils suivent leur pasteur, le « petit garçon », le Christ et sa parole.

Confions au Seigneur, en cette période de l’Avent, toutes les violences, toutes les forces vives et les désirs incontrôlés qui habitent nos cœurs et l’humanité tout entière. Ecoutons sa Parole, seule capable de faire cohabiter en nous toute cette animalerie, avec ses violences et ses fragilités. Alors nous entrerons un peu plus dans le projet de Dieu de nous rendre « à son image ».

 

Père Edouard

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