Retraite dans la ville : 3ème méditation le dimanche 8 avril à la salle paroissiale d’Enghien : « Allons sans peur, le Christ nous libère.»

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Sources :

  • Pape François, la joie de l’évangile, Bayard, Fleurus-Mame, Cerf, Paris, 2014.
  • Pape François, Lettre apostolique à tous les consacrés à l’occasion de l’année de la vie consacrée, 21 novembre 2014. Consultable en français sur le site suivant :

http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/apost_letters/documents/papa-francesco_lettera-ap_20141121_lettera-consacrati.html

  • Interview du pape François aux revues culturelles jésuites réalisée par le P. Antonio Spadaro, sj. Publié dans la Revue Etudes, octobre 2013. Consultable : http://www.revue‑etudes.com/Religions/_Audience_accordee_par_le_pape_Francois_a_ la_communaute_des_ecrivains_de__La_Civilta_Cattolica_/7497/15594.

Texte :

  1. Regarder notre monde et notre Eglise avec le prophète Ezéchiel. Méditation Ez 37, 1-14.
  2. Comment nous exercer à vivre de cette attitude en Eglise ? Quelques conseils pratiques tirés de l’exhortation apostolique du pape François, la joie de l’évangile.
  3. « Embrasser l’avenir avec espérance », pape François.

 

Le 11 mars dernier, nous avons commencé notre retraite dans la Ville par une analyse des différentes crises que traversent notre monde, notre humanité et notre église. Nous avons regardé en face ce « serpent de bronze », cette peur et cette angoisse de l’avenir, qui inocule parfois son venin en nous. C’est d’ailleurs la première méthode pour nous en sortir accepter de regarder en face les difficultés, les crises.

Le 11 mars dernier, nous avons commencé notre méditation biblique avec le prophète Jérémie, la destruction du Temple et l’exil à Babylone. Tout est par terre.

J’aimerais commencer cette dernière méditation en nous faisant retourner au temps de l’exil à Babylone. Avec le prophète Ezéchiel. Nous verrons ce qu’il a à nous dire pour aujourd’hui. Je continuerai cette méditation par quelques citations du pape François à l’adresse des communautés chrétiennes aujourd’hui, et par un objectif qu’il nous donne.

  1. Méditation d’Ézéchiel 37, 1-14.Comment vivre dans notre monde et notre Eglise ?

01 La main du Seigneur se posa sur moi, par son esprit il m’emporta et me déposa au milieu d’une vallée ; elle était pleine d’ossements. 02 Il me fit circuler parmi eux ; le sol de la vallée en était couvert, et ils étaient tout à fait desséchés. 03 Alors le Seigneur me dit : « Fils d’homme, ces ossements peuvent-ils vivre ? » Je lui répondis : « Seigneur Dieu, c’est toi qui le sais ! » 04 Il me dit alors : « Prophétise sur ces ossements. Tu leur diras : Ossements desséchés, écoutez la parole du Seigneur : 05 Ainsi parle le Seigneur Dieu à ces ossements : Je vais faire entrer en vous l’esprit, et vous vivrez. 06 Je vais mettre sur vous des nerfs, vous couvrir de chair, et vous revêtir de peau ; je vous donnerai l’esprit, et vous vivrez. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur. » 07 Je prophétisai, comme j’en avais reçu l’ordre. Pendant que je prophétisais, il y eut un bruit, puis une violente secousse, et les ossements se rapprochèrent les uns des autres. 08 Je vis qu’ils se couvraient de nerfs, la chair repoussait, la peau les recouvrait, mais il n’y avait pas d’esprit en eux. 09 Le Seigneur me dit alors : « Adresse une prophétie à l’esprit, prophétise, fils d’homme. Dis à l’esprit : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Viens des quatre vents, esprit ! Souffle sur ces morts, et qu’ils vivent ! » 10 Je prophétisai, comme il m’en avait donné l’ordre, et l’esprit entra en eux ; ils revinrent à la vie, et ils se dressèrent sur leurs pieds : c’était une armée immense ! 11 Puis le Seigneur me dit : « Fils d’homme, ces ossements, c’est toute la maison d’Israël. Car ils disent : “Nos ossements sont desséchés, notre espérance est détruite, nous sommes perdus !” 12 C’est pourquoi, prophétise. Tu leur diras : Ainsi parle le Seigneur Dieu : Je vais ouvrir vos tombeaux et je vous en ferai remonter, ô mon peuple, et je vous ramènerai sur la terre d’Israël. 13 Vous saurez que Je suis le Seigneur, quand j’ouvrirai vos tombeaux et vous en ferai remonter, ô mon peuple ! 14 Je mettrai en vous mon esprit, et vous vivrez ; je vous donnerai le repos sur votre terre. Alors vous saurez que Je suis le Seigneur : j’ai parlé et je le ferai – oracle du Seigneur. »

 

Il arrive que nous entendions des prédications commençant par un tableau très sombre de l’état du monde, débouchant sur une annonce de salut venant de Dieu, une sorte de salut qui semble comme hors de ce monde, par exemple dans une vie future, ou dans une autre dimension (spirituelle). Ce n’est pas l’Évangile car précisément le Christ est venu dans ce monde parce que Dieu a aimé tel qu’il est, ce monde ci, nos personnes et notre vie en ce monde.

Parfois ce ne sont pas les religieux qui dressent un tableau fort sombre de ce monde, mais des hommes politiquespour se justifier ou pour torpiller l’adversaire.

Il y a des prophètes de malheur, toujours prêts à tout dénigrer, à adopter un langage catastrophiste, et à nous culpabiliser. Il y a en chacun de nous un Philippulus, ce prophète de malheur dans Tintin, et l’étoile mystérieuse, avec son gong : « c’est le châtiment ! nous allons tous mourir ! » C’est qu’effectivement tout ne va pas bien en ce monde et du coup le langage catastrophiste trouve un réel écho en nous. C’est vrai que nous avons parfois l’impression de marcher comme sur de la glace dans notre vie, en nous demandant si ça va tenir. C’est là-dessus que jouent ces personnes qui cherchent à nous manipuler.

Jésus n’était pas comme ça. Sa prédication ne nous dit pas « vous êtes perdus » mais il nous dit que Dieu s’est approché pour nous aider, il nous dit « ta foi t’a sauvé » maintenant, alors que nous sommes encore dans ce monde. Jésus nous dit : je ne vous envoie pas hors du monde mais dans ce monde parce que ça vaut la peine, comme j’ai été envoyé dans ce monde par mon Père qui a aimé ce monde.

Au temps d’Ézéchiel le peuple d’Israël est désespéré :

  1. 11 : « Nos os sont desséchés,
    notre espérance est détruite,
    nous sommes perdus!
    »

Oui, tout ne va pas biendans notre monde, dans notre être, dans notre Eglise et dans l’avenir possible. C’est vrai. Mais qu’en conclure ? Avec l’aide de Dieu, Ézéchiel ne va pas devenir un Philippulus, au contraire.

Dieu lui donne la force d’aller se promener par l’Esprit au pire de ce qui les désespère.

Et que voit Ézéchiel ? Une grande quantité d’ossements tout secs. Ça pourrait sembler désespérant, et le Philippulus qui veille en nous chuchote à notre oreille : à quoi bon, laisse tomber, il n’y a là que des horreurs. Mais Dieu donne un autre regard au prophète qui veille aussi en nous. Des os ? Ce n’est déjà pas si mal, on peut en faire quelque chose, c’est un début de structure, un début de projet qui se tient.

(1)  Ce que nous apporte Dieu, comme ici à Ézéchiel, c’est d’abord d’avoir le courage de regarder et de nous poser des questions, de remettre en question le bilan désespéré :

  1. 3 : « Fils de l’homme, ces os pourront-ils vivre ?»

Ézéchiel n’y avait même pas pensé.

(2)  Mais notons que Dieu ne dit pas« ces os pourront-ilsrevivre ? » comme s’il était question de retourner en arrière, mais la foi nous invite à nous poser la question« ces os pourront-ils vivre ? » Cela nous invite à aller de l’avant et d’envisager une création nouvelle, une genèse qui sera de notre temps. Si nous en restions à vouloir rétablir une situation passée, alors là, oui, nous serions mal partis, car nous ne sommes plus hier. C’est vrai que ces ossements viennent du passé mais c’est une vie nouvelle qui est envisagée ici par Dieu, et c’est avec nous et par nous qu’il l’envisage.

Avec Dieu, toujours, la vie l’emporte, par une solution nouvellequi était inimaginable avant. Une méthode se fait jour, un élan de belle et bonne création, inattendue :

  1. 4-6 : « Prophétise sur ces os, et dis-leur :
    Ossements desséchés, écoutez la parole de l’Eternel !
    Voici, je vais faire entrer en vous un Esprit, et vous vivrez ;
    je vous donnerai des tendons,
    je ferai se développer sur vous de la chair,
    je vous couvrirai de peau,
    je mettrai en vous un Esprit
    … »

(3)  Ce n’est pas par la force que le Seigneur invite le prophète à agir, mais c’est par la Parole.

Adresser la parole aux ossements desséchés paraît inutile et fou. Mais c’est ainsi que le Christ nous apprend à ne jamais désespérer de personne ni de nous-mêmes. C’est par la parole que l’on peut commencer à ouvrir un avenir nouveau, mais pas n’importe quelle parole. Ézéchiel doit prophétisersur les os desséchés. Prophétiser, c’est avoir une parole de vérité, une parole qui dit la réalité vue d’en haut, telle qu’elle est vue par Dieu, c’est un regard décapant mais aussi aimant, infiniment respectueux et optimiste, vivifiant.

Peut-être ne la savez-vous pas, mais vous aussi êtes capable d’un regard et d’une parole prophétique qui donne vie. C’est un regard et une parole qui naissent au plus profond de nous-mêmes quand on prie, en secret, en soupir « Éternel, tu le sais ! » après avoir regardé le monde et nous être posé des questions avec Dieu sur son avenir. C’est chacun de nous qui sera prophète nous dit ce texte, puisque c’est à chacun, et même à chaque bout d’os que sera donné l’Esprit de Dieu, pour être prophète, pour connaître Dieu et avec lui faire avancer la vie.

  1. 7 : « Comme je prophétisais, dit Ézéchiel, il y eut un bruit,
    et voici, il se fit un mouvement,
    et les os s’approchèrent les uns des autres
    . »
  • « Les os s’approchèrent les uns des autres », n’est-ce pas déjà un programme, un beau succès ?

Au sens de notre monde, ce sont des personnes qui commencent à se regarder, à se considérer, à entendre ce que l’autre a à dire de prophétique, qu’il soit un petit ou un géant, un pauvre ou un roi.

« Je regardai, et voici, il leur vint des tendons »

Oui, pour se rendre compte des progrès, il faut ouvrir les yeux et regarder. Des tendonsapparaissent, ce sont comme des liens de solidaritéentre ces éléments, mais aussi des articulations, une souplesse qui laisse la liberté de chaque membre et qui rend possible de collaborer. Une bonne articulation entre nous tous, mais aussi une articulation entre notre sensibilité, nos instincts, notre intelligence et notre foi…

Ensuite, c’est de la chairqui pousse sur ces os, une certaine tendresseest donnée à la structure des os, une certaine force, un dynamisme.

Ensuite c’est une peauqui les couvre. La peau est une protection mais c’est aussi une sensibilité aux autres. Oui, en ce monde nous sommes un espace qui nous est propre. Nous avons besoin d’être nous-mêmes, d’avoir une identité et une intimité. C’est un besoin pour chaque être, pour chaque groupe humain, pour le couple, la famille, pour une association, pour une église, un pays… Mais cette frontière que Dieu nous donne est une peau, sensible et douce, certes un peu fragile aussi et donc à protéger, mais elle est capable de recevoir et de donner la caresse et de la recevoir, elle est capable de sentir le souffle et de reconnaître la texture de la matière.

Les os se sont rapprochés, les tendons, la chair et la peau ont été donnés… mais il n’y avait pas en eux d’esprit nous dit le texte. Échec partiel. Ou plutôt une pause, une attente. L’Esprit manque et c’est la vie qui manque, la vie belle et créatrice, la vie qui avance sur ses propres pieds pour tracer son propre cheminement. Sans cet Esprit divin, ces êtres sont comme assassinés. Et c’est le cas quand nous sommes abattus par les Philippulus, endoctrinés, enchaînés par la peur de Dieu, peur de la malédiction, peur des catastrophes et peur de l’enfer, coupés de la grâce, culpabilisés.

  1. 9 : L’Éternel me dit : Prophétise, et parle à l’esprit !
    prophétise, fils de l’homme, et dit de la part de l’Éternel :
    Esprit, viens des quatre vents !

(5)  Il faut libérer l’Esprit.

Le vrai souffle, nous dit le texte, l’Esprit de Dieu ne souffle pas d’un seul côté mais des 4 vents à la fois. L’Esprit, comme la Vérité est une dynamique plurielle, l’Esprit est pluraliste, c’est un souffle de liberté qui ne souffle qu’aux carrefours. L’Esprit de Dieu est toujours une surprise, venue d’où nul homme n’aurait pu l’imaginer, au grand désespoir des Philippulus. L’Esprit souffle où il veut et nul ne sait d’où il vient, nous dit Jésus (Jean 3), et il donne vie, il nous donne d’être un humain debout, une famille, une église, un peuple qui trace un chemin nouveau dans ce monde magnifique.

Plusieurs attitudes : regarder les crises en face ; se poser la question de la vie ; regarder le monde avec les yeux de Dieu et poser une parole de prophétie ; se rapprocher, s’écouter, rester soi ; laisser l’Esprit des 4 vents nous animer.

 

  1. Quelques conseils du pape François.

Dans la suite de ce merveilleux texte d’Ezechiel, le pape François dans son exhortation apostolique nos donne quelques pistes.

Avouons-le, pour la plupart, nous ne trouvons pas le temps de lire les lettres officielles des papes, même quand elles sont adressées « au clergé et aux fidèles du monde entier. » Nous sommes nombreux à avoir l’impression que les documents pontificaux sont faits pour être lus par quelques savants : évêques, théologiens professionnels, docteurs en droit canon. Évidemment, vous faites peut-être partie de cette minorité instruite qui a toujours lu les lettres des papes. Ou peut-être n’avez-vous jamais lu d’exhortation apostolique (c’est le nom officiel de cette lettre-ci).

Quoi qu’il en soit, une expérience nouvelle vous attend dès l’instant où vous allez plonger dans Evangelii Gaudium. Le pape François n’a pas écrit cette lettre pour trancher un débat doctrinal entre spécialistes, pour promulguer un nouveau règlement ou dispenser d’une ancienne loi, pour promouvoir une dévotion particulière ou faire prudemment un pas de plus dans le développement de l’enseignement social catholique. Cette lettre passionnée, « écrite en 2013, première année de mon pontificat, » s’adresse à chacune et chacun de nous.

La joie de l’Évangile a été écrite pour nous inviter à laisser l’incroyable ravissement qu’est la rencontre de Jésus Christ, l’amour de Jésus Christ et le salut en Jésus Christ, envahir notre cœur, révolutionner notre vie et faire de nous des disciples missionnaires du Seigneur. Écoutez :

La joie de l’Évangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus Christ la joie naît et renaît toujours. Dans cette Exhortation je désire m’adresser aux fidèles chrétiens, pour les inviter à une nouvelle étape évangélisatrice marquée par cette joie et indiquer des voies pour la marche de l’Église dans les prochaines années. (1)

D’abord, le pape François veut dire que ce que l’Évangile proclame avant tout, c’est que Dieu nous aime. Dieu nous aime tendrement et fidèlement en Jésus Christ, qui est venu se joindre à nous, devenir notre frère et sauver notre monde. C’est le message central de cette lettre du pasteur de notre Église mondiale. Rien de nouveau, me direz-vous. Sauf que c’est toujours nouveau. C’est toujours un choc pour notre gêne naturelle, pour notre scepticisme et pour nos espoirs fragiles et limités. C’est toujours renversant quand on se met à y penser. Continuons d’ouvrir notre cœur à cette nouveauté :

J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclu de la joie que nous apporte le Seigneur ». Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci attendait déjà sa venue à bras ouverts… Il nous permet de relever la tête et de recommencer, avec une tendresse qui ne nous déçoit jamais et qui peut toujours nous rendre la joie. Ne fuyons pas la résurrection de Jésus, ne nous donnons jamais pour vaincus, quoi qu’il arrive. (3)

Le pape François ne se lasse pas de proclamer la vocation chrétienne à la joie, même au milieu des larmes et des tragédies de la vie de ce monde. Pour lui, la source inépuisable de la joie chrétienne, c’est de recevoir et de rendre la tendresse de l’amour de Dieu en Jésus Christ. Le fait de partager cette joie avec d’autres dans la vie quotidienne d’un disciple missionnaire, c’est ce qui fait mûrir et s’épanouir cette joie. Voici un exemple de la façon dont le pape François, en s’inspirant du Nouveau Testament, exprime sa conviction au sujet de la joie :

L’Évangile, où resplendit glorieuse la Croix du Christ, invite avec insistance à la joie… « Réjouis-toi » est le salut de l’ange à Marie (Lc 1, 28)… Jésus lui-même « tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit Saint » (Lc 10, 21). Son message est source de joie : « Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète » (Jn 15, 11)… Il promet aux disciples : « Vous serez tristes, mais votre tristesse se changera en joie » (Jn 16, 20). 

Le livre des Actes des Apôtres raconte que dans la première communauté ils prenaient « leur nourriture avec allégresse » (Ac 2, 46). Là où les disciples passaient, « la joie fut vive » (8, 8), et eux, dans les persécutions « étaient remplis de joie » (13, 52)… Pourquoi ne pas entrer nous aussi dans ce fleuve de joie ?(5)

La deuxième ardente conviction de La joie de l’Évangile, c’est que la rencontre avec le Christ, en nous éveillant au fait stupéfiant que nous sommes les bienaimés de Dieu, nous transforme. Elle nous unit à notre frère Jésus et nous redirige, dans l’amour et avec une sollicitude respectueuse, vers le monde. Nous devenons des disciples missionnaires. Écoutons François :

C’est seulement grâce à cette rencontre—ou nouvelle rencontre—avec l’amour de Dieu, qui se convertit en heureuse amitié, que nous sommes délivrés de notre conscience isolée et de l’auto-référence. Nous parvenons à être pleinement humains… quand nous permettons à Dieu de nous conduire au-delà de nous-mêmes pour que nous parvenions à notre être le plus vrai. Là se trouve la source de l’action évangélisatrice. Parce que, si quelqu’un a accueilli cet amour qui lui redonne le sens de la vie, comment peut-il retenir le désir de le communiquer aux autres ? (8)

La vie s’obtient et mûrit dans la mesure où elle est livrée pour donner la vie aux autres. C’est cela finalement la mission.

« Par conséquent, écrit le pape François, un évangélisateur ne devrait pas avoir constamment une tête d’enterrement !(10) »

La troisième ardente conviction de cette lettre porte sur le fait que le Seigneur de l’Évangile est d’abord chez lui parmi les pauvres, les affligés, les exclus et tous ceux et celles qu’ignore notre monde affairé et dopé au succès. Comme les autres grands thèmes de cette lettre, la solidarité particulière de Dieu avec les pauvres est depuis l’origine une affirmation centrale du christianisme. Mais comme nous l’oublions trop souvent, elle refait surface constamment dans l’histoire chrétienne, portée par des saintes ou des saints et de grands mouvements. Et c’est ce qui se produit de nouveau avec le pape François.

Tout le chemin de notre rédemption est marqué par les pauvres. Ce salut est venu jusqu’à nous à travers le « oui » d’une humble jeune fille d’un petit village perdu dans la périphérie d’un grand empire.

Le Sauveur est né dans une mangeoire, parmi les animaux, comme cela arrivait pour les enfants des plus pauvres ; il a été présenté au temple avec deux colombes, l’offrande de ceux qui ne pouvaient pas se permettre de payer un agneau (cf. Lc 2, 24; Lv 5, 7); il a grandi dans une maison de simples travailleurs et a travaillé de ses mains pour gagner son pain.

Quand il commença à annoncer le Royaume, des foules de déshérités le suivaient, et ainsi il manifesta ce que lui-même avait dit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, pour porter la bonne nouvelle aux pauvres » (Lc 4, 18). À ceux qui étaient accablés par la souffrance, opprimés par la pauvreté, il assura que Dieu les portait dans son cœur : « Heureux, vous les pauvres, car le Royaume de Dieu est à vous » (Lc 6, 20).

Il s’est identifié à eux : « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger », enseignant que la miséricorde envers eux est la clef du ciel (cf. Mt 25, 35s).(197)

En tout lieu et en toute circonstance, les chrétiens, encouragés par leurs pasteurs, sont appelés à écouter le cri des pauvres. (191) … Chaque chrétien et chaque communauté sont appelés à être instruments de Dieu pour la libération et la promotion des pauvres, de manière à ce qu’ils puissent s’intégrer pleinement dans la société ; ceci suppose que nous soyons dociles et attentifs à écouter le cri du pauvre et à le secourir. (187)

Les 3 clés de la vie de l’Eglise : la rencontre avec le Christ, dans la prière et la vie liturgique ; la mission et l’annonce de cette joie qui déborde ; la vie fraternelle. L’Eglise doit être priante, missionnaire et fraternelle. Ce sont les trois axes que donne le pape à toute l’Eglise aujourd’hui pour construire ce projet de vie.

Réformer l’Eglise

Non au pessimisme stérile ! Oui aux relations nouvelles engendrées par Jésus Christ !(84,87)

Si quelqu’un que vous connaissez a arrêté d’aller à l’église, peut-être qu’il ou elle aimerait lire La joie de l’Évangile. Voici ce que pense le pape François d’un ministère ecclésial qui a succombé au « triste pragmatisme de la vie quotidienne de l’Église ».

L’impatience d’aujourd’hui d’arriver à des résultats immédiats fait que les agents pastoraux n’acceptent pas facilement le sens de certaines contradictions, un échec apparent, une critique, une croix… Ainsi prend forme la plus grande menace, « c’est le triste pragmatisme de la vie quotidienne de l’Église, dans lequel apparemment tout se passe normalement, alors qu’en réalité, la foi s’affaiblit et dégénère dans la mesquinerie».  (82, 83)

La psychologie de la tombe, qui transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée, se développe… Appelés à éclairer et à communiquer la vie, ils se laissent finalement séduire par des choses qui engendrent seulement obscurité et lassitude intérieure, et qui affaiblissent le dynamisme apostolique. Pour tout cela je me permets d’insister : ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation ! (83)

Sortons, sortons pour offrir à tous la vie de Jésus-Christ. Je répète ici pour toute l’Église ce que j’ai dit de nombreuses fois aux prêtres et laïcs de Buenos Aires : je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités. 

Je ne veux pas une Église préoccupée d’être le centre et qui finit renfermée dans un enchevêtrement de fixations et de procédures. Si quelque chose doit saintement nous préoccuper et inquiéter notre conscience, c’est que tant de nos frères et sœurs vivent sans la force, la lumière et la consolation de l’amitié de Jésus Christ, sans une communauté de foi qui les accueille, sans un horizon de sens et de vie. 

Plus que la peur de se tromper j’espère que nous anime la peur de nous renfermer dans les structures qui nous donnent une fausse protection, dans les normes qui nous transforment en juges implacables, dans les habitudes où nous nous sentons tranquilles, alors que, dehors, il y a une multitude affamée, et Jésus qui nous répète sans arrêt : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37).(49)

Dans cette première lettre de son pontificat, le pape François parle avec une franchise étonnante de l’urgence de la réforme nécessaire à tous les échelons de l’Église—dans les paroisses, les associations de fidèles, les communautés religieuses, les diocèses, les conférences épiscopales nationales et même au niveau de la papauté.

La joie de l’Évangile insiste sur l’idée que la conversion nécessaire est une conversion missionnaire. Il s’agit de réévaluer toutes les structures et les activités de l’Église pour que la mission—l’amour de Jésus qui nous pousse vers les gens—devienne clairement la priorité des priorités.

Pour François, il va de soi que chaque chrétienne, chaque chrétien qui est tombé amoureux de Jésus Christ et qui a connu la joie du salut dans le Christ se sentira poussé à rayonner, à partager cette joie dans chacune des situations de sa vie. Mais il arrive que cette réaction simple et radicale à la grâce soit mise en veilleuse par une Église somnolente—ou plus précisément par des « habitudes ecclésiastiques » qui se sont éloignées de l’Évangile et qui nous rendent complaisants plutôt que joyeusement missionnaires.

L’Église « en sortie » est la communauté des disciples missionnaires qui prennent l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent… La communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a précédée dans l’amour (cf.  I Jn 4, 19), et en raison de cela, elle sait aller de l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus…  

La communauté évangélisatrice, par ses œuvres et ses gestes, se met dans la vie quotidienne des autres, elle raccourcit les distances, elle s’abaisse jusqu’à l’humiliation si c’est nécessaire, et assume la vie humaine, touchant la chair souffrante du Christ dans le peuple. Les évangélisateurs ont ainsi « l’odeur des brebis » et celles-ci écoutent leur voix. Ensuite, la communauté évangélisatrice se dispose à « accompagner ». Elle accompagne l’humanité en tous ses processus, aussi durs et prolongés qu’ils puissent être. (24)

La paroisse n’est pas une structure caduque ; précisément parce qu’elle a une grande plasticité, elle peut prendre des formes très diverses qui demandent la docilité et la créativité missionnaire du pasteur et de la communauté. Même si, certainement, elle n’est pas l’unique institution évangélisatrice, si elle est capable de se réformer et de s’adapter constamment, elle continuera à être « l’Église elle-même qui vit au milieu des maisons de ses fils et de ses filles ».

Cela suppose que réellement elle soit en contact avec les familles et avec la vie du peuple et ne devienne pas une structure prolixe séparée des gens, ou un groupe d’élus qui se regardent eux-mêmes… À travers toutes ses activités, la paroisse encourage et forme ses membres pour qu’ils soient des agents de l’évangélisation. Elle est communauté de communautés, sanctuaire où les assoiffés viennent boire pour continuer à marcher, et centre d’un constant envoi missionnaire. (28)

 

  1. « Embrasser l’avenir avec espérance »

C’est le troisième objectif du pape François dans sa Lettre apostolique à tous les consacrés à l’occasion de l’année de la vie consacrée. [1er : c’est regarder le passé avec reconnaissance ; 2ème : vivre le présent avec passion, vivre notamment la mystique de la rencontre].

« Embrasser », pour le Pape François comme pour tout sud-américain, est un geste significatif qui manifeste à la fois ouverture et accueil, proximité et rencontre, appartenance même. D’abord ouvrir les bras, gage de l’ouverture du cœur, afin d’accueillir l’autre, personne ou événement, tel qu’il se présente et tel qu’il est. Puis joindre peu à peu les bras autour de l’autre, le saisir, l’envelopper pour s’en faire proche et le rencontrer. Enfin refermer les bras sur l’autre pour en quelque sorte lui offrir hospitalité et intimité. « Embrasser » pour le Pape François renvoie à une attitude humaine certes, mais aussi caractéristique de la personne croyante.

C’est « avec espérance » que les personnes consacrées embrassent l’avenir. Vertu des temps difficiles, l’espérance se distingue de l’espoir. Alors que ce dernier s’appuie plus ou moins sur le tempérament optimiste et les grandes capacités d’une personne, l’espérance, elle, est théologale. Elle ne se fonde pas sur des chiffres et des œuvres, le Pape le signale, mais sur le Dessein d’Amour du Père qui donne son Fils et son Esprit : « Dieu a tellement aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16) et « cet Esprit, Dieu l’a répandu sur nous en abondance » (Tt 3, 6-7).

L’espérance, même au cœur des difficultés et des souffrances, demeure joyeuse, car elle s’appuie sur la foi en l’Amour du Père, du Fils et de l’Esprit pour notre monde. Enracinée dans la foi en cet amour miséricordieux et immérité, l’espérance vient soulever le dynamisme de vie de chaque personne et lui permet de se tourner radicalement vers l’avenir promis, en vivant sa vocation particulière de personne consacrée.

En guise de conclusion. L’invitation du Pape à embrasser l’avenir avec espérance n’est pas pour hier ni pour demain, mais pour « aujourd’hui », pour le quotidien de chaque jour et de tous les jours. « Aujourd’hui » donc au sens biblique qui marque l’instant de la décision et de l’engagement de l’humain vis-à-vis Dieu, moment de plénitude et d’accomplissement.

En terminant, je souhaite citer quelques versets du poète Charles Péguy :

« La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance » …

« Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne. Moi-même. Ça c’est étonnant. Que ces pauvres enfants voient comme tout ça se passe et qu’ils croient que demain ça ira mieux. Qu’ils voient comme ça se passe aujourd’hui et qu’ils croient que ça ira mieux demain matin.

Il présente ensuite l’espérance comme une petite fille entre ses deux sœurs ainées, la Foi Épouse fidèle et la Charité Mère pleine de cœur. Les gens pensent que ce sont les grandes qui conduisent la petite, mais de dire Péguy :

« C’est elle, la petite, qui entraîne tout.  Car la Foi ne voit que ce qui est. Et elle, elle voit ce qui sera.  La Charité n’aime que ce qui est. Et elle, elle aime ce qui sera. »

« Embrasser l’avenir avec espérance » pour que s’épanouisse la vie!

 

Questions pour le partage :

  1. Quand ressentez-vous de la fierté ou de la reconnaissance pour votre Église ?
  2. À quels moments en avez-vous honte ou vous sentez-vous frustrés par elle ?
  3. Vous rappelez-vous des occasions où votre propre paroisse vous a donné l’impression d’être « l’Église elle-même qui vit au milieu des maisons de ses fils et de ses filles ? » Décrivez une de ces occasions et expliquez pourquoi cela vous a paru important.

 

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