Homélie de Pentecôte – Année A – Saint-Gratien

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Que dire après tout ce que nous venons de vivre ? Y-a-t-il encore quelque chose à dire ? Tant de paroles ont été prononcées, parfois de manière contradictoire. Que dire après ces deux mois de confinement ? j’ai le sentiment d’avoir beaucoup parlé en vidéos, et j’aimerais vous écouter chacun d’entre vous, écouter vos expériences, vos découvertes, vos raisons de croire et d’espérer, comme j’ai commencé à le faire en allant à votre rencontre lors des bénédictions, des messes à domicile, ou lors d’échanges téléphoniques. Que dire de cette crise inédite que le monde entier vient de traverser ?

Une crise. Savez-vous que la crise en hébreu porte un nom étrange : machber ? Ce mot, qui apparaît dans la Bible, désigne littéralement la table d’accouchement, le tabouret sur lequel la femme enceinte s’installe pour pouvoir accoucher d’un petit d’homme (réflexion entendue de la rabbin Delphine Horvilleur). La crise est donc pour les hébreux comme une salle de travail, une salle de naissance. Quel regard étonnant sur la crise !

C’est dans cette salle d’accouchement, dans ce lieu de confinement inédit que se joue la possibilité d’un monde nouveau. Cette salle de naissance est la salle d’émotions paradoxales, de sentiments opposés, la vie et la mort, le lieu de la peur et de la vulnérabilité, comme le lieu où peut surgir du nouveau, de l’inédit, de l’inouïe qui peut nous conduire ailleurs.

Cela ne veut pas dire que cette crise soit une chance ou une opportunité. Cela ne serait ni réaliste, ni souhaitable. Cette crise a tant fait souffrir, et cela pourrait donner une image perverse du Seigneur. Non, mais cette crise nous pousse à mobiliser en nous tout ce qui est nécessaire pour traverser ce moment de vérité, à mobiliser ce qui nous permettra d’être plus grand que nous-mêmes, alors même que nous avons mesuré notre fragilité. Elle nous pousse à rendre notre humanité plus grande.

En cette fête de la Pentecôte, nous découvrons dans l’évangile une autre crise : les disciples se retrouvent seuls après la mort de Jésus. Le monde s’est écroulé pour eux. La peur règne dans leurs cœurs. Et cette crise débouche sur un enfantement également. Enfermés dans leur salle, les disciples sont comme dans une salle d’accouchement. Le Christ les rejoint, il souffle sur eux, comme l’Esprit soufflait aux premiers jours de la Création, et il les envoie en mission : devenez des apôtres de réconciliation. Nous assistons donc à une naissance, à l’accouchement de l’Eglise, et de sa mission de réconciliation. Enfin, l’évènement de la Pentecôte, que nous écoutons dans le Livre des Actes des Apôtres, vient parachever cette nouvelle création.

Et nous, à quoi allons-nous naître ? quelle fraternité nouvelle allons-nous bâtir ? quelle église construire ? quel monde désirons-nous voir naître aujourd’hui ? L’Esprit souffle aujourd’hui encore et il n’a qu’un désir : faire surgir du nouveau en nous, dans l’Eglise et dans le monde.

L’Esprit nous donne d’abord de regarder les autres de manière nouvelle. Souvent, nous pouvons avoir le sentiment de savoir, de connaître ce qui est bon ou mauvais pour nous et pour les autres. Nous avons des idées bien arrêtées. Et le temps du confinement a peut-être exacerbé nos points de vue sur le monde et sur les autres. Cette sortie de confinement peut alors rimer avec un jugement encore plus sévère sur notre monde, la manière dont les responsables ont géré cette crise, la conduite de ceux et celles qui nous entouraient. L’Esprit qui pousse les disciples en-dehors du Cénacle ne les coupe pas des autres, par des jugements intempestifs, mais leur permet au contraire de rejoindre tous les peuples sans distinction. Leurs paroles ne tombent pas d’en haut, ne jugent pas, comme des couperets. Leurs paroles leur permettent d’entrer dans une vraie relation avec les autres, dans leur vaste diversité. Ils accueillent ainsi cette diversité, ils l’acceptent même, et ils en font l’occasion d’une rencontre.

L’Esprit nous montre ensuite quelle Eglise naît de la Pentecôte. C’est comme aime à le rappeler le pape François « une Eglise en sortie ». Une Eglise qui sort de ses sacristies, de ces petits clubs bien chauds, de nos habitudes, de ce qui a toujours été fait ainsi hier, de nos défaitismes, de nos jugements tout faits, « cela ne marchera pas », pour faire du neuf, pour aller de nouveau sans peur de l’échec à la rencontre des autres et leur partager ce qui fait la joie de notre cœur.

L’Esprit nous aide enfin à construire cette nouvelle humanité, en devenant des agents de la réconciliation. « Recevez l’Esprit saint. A qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus ». L’Esprit a mis en nous cette capacité à pardonner, à faire du neuf, à ne pas enfermer les autres dans des cases définitives, à ne pas tourner en boucle les mêmes propos malveillants, mais à créer des ponts, à être des artisans de paix. « La Paix soit avec vous ! De même que le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie ».

« Viens Esprit Saint en nos cœurs, lave ce qui est souillé, baigne ce qui est aride, guéris ce qui est blessé. Assouplis ce qui est raide, réchauffe ce qui est froid, rends droit ce qui est faussé ». Mets en nous un cœur nouveau ! Renouvelle la face de la terre !

 

Père Alexandre de BUCY +

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