Le Cardinal Eugène Tisserant nommé « juste parmi les nations »

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Le 21 Octobre dernier, l’institut international pour la mémoire de la Shoah, Yad Vashem, reconnaissait le Cardinal Eugène Tisserant comme Juste parmi les nations avec deux autres Français, le diplomate François de Vial et le recteur Mgr André Bouquin.

Le cardinal Tisserant, une figure majeure de l’Eglise du XXe siècle

Eugène Tisserant (1884-1972) était un homme imposant avec sa haute taille et sa barbe taillée au carré. Je le revoie, vêtu de pourpre, remontant majestueusement l’allée de la nef de l’église St Philippe du Roule, au son de l’orgue et des trompettes.

Les enfants que nous étions allaient être marqué(e)s du St Chrême par ses mains (rite qui correspond au don de l’Esprit Saint. Par la chrismation avec le St Chrême, le confirmand devient pleinement membre du peuple de Dieu). Pour sa venue, nous avions reçu de nombreuses recommandations.

Certes, nous étions au courant qu’il était cardinal et Doyen du Sacré Collège. Toutefois, nous ne savions pas vraiment à quoi correspondait ce titre et nous n’avions pas conscience qu’il était l’un des personnages majeurs de l’Eglise catholique du XXe siècle.

Cette reconnaissance de juste est donc une occasion de re(découvrir) l’immensité de son oeuvre.

Le second personnage de l’Eglise

Ce lorrain profondément attaché à sa province natale, spécialiste des langues et civilisations orientales, diplômé en quinze langues, dont cinq langues sémitiques (hébreu, syriaque, assyrien, arabe, éthiopien), assuma de 1908 à 1913, la charge de professeur d’assyrien à l’Université pontificale de l’Apollinaire (qui deviendra ensuite l’Université du Latran).

Nommé Doyen du Sacré Collège en 1951, il passa plus de soixante ans de sa vie à Rome. Il servit six papes différents de Pie X à Paul VI.

Un témoin privilégié du XXe siècle

A la fois érudit, diplomate et homme de terrain, il vécut tous les grands événements du XXe siècle. Parmi eux, deux guerres mondiales, l’expansion du communisme, l’apogée et la chute des empires coloniaux…

Ce résistant déterminé face au fascisme, au nazisme, au communisme … organisa et participa à trois conclaves ( lieu où sont enfermés les cardinaux afin d’ élire le pape pendant la période dite Sede vacante et par extension l’assemblée elle-même). Il vécut aussi la crise des années 60 dans une Église qui devait faire face aux bouleversements du XXe siècle.

Il fut témoin et surtout acteur de cet événement majeur que fut le Concile Vatican II. Pour lui, celui-ci devait permettre à l’ Église de s’adapter au monde mais aussi, améliorer en qualité, la vie chrétienne des fidèles. Il devait également donner envie, aux non-chrétiens ou aux non catholiques, de l’apprécier et d’y entrer (Interview de Mgr Tisserant Source INA)

Historien, scientifique mais aussi prêtre

Le cardinal Tisserant, savant orientaliste réputé, historien et scientifique scrupuleux, ne négligea pas pour autant son ministère de prêtre. ll vécut toujours sobrement et était connu pour sa charité. Il organisa des colonies de vacances, fit construire des dispensaires et des terrains de sports…

Certes toute sa carrière se déroula à Rome. Toutefois, il resta très attaché à la France et à sa Lorraine natale. Ce résistant de la première heure chercha toujours à favoriser et à aider les compatriotes qui faisaient appel à lui. En  1957, il présida le Comité international créé pour assurer le financement de la basilique souterraine Saint Pie X à Lourdes. **

Le soutien du cardinal Tisserant pendant la 2de guerre mondiale

Les preuves concernant l’aide qu’apporta Eugène Tisserant pendant le fascisme sont nombreuses. En effet, il aida de nombreux Juifs en les employant à la Bibliothèque vaticane dans les années 1930 (quand elles étaient privées de leur poste par l’État fasciste) ou bien en facilitant l’obtention de visas afin qu’elles puissent se réfugier aux États-Unis.

En outre, il fut un résistant. Dans les milieux de la France Libre, tout le monde savait qu’à Rome, il luttait pour la liberté à sa manière. Tous pouvait compter sur lui. En 1944, lors de son voyage en France, il fut reçu par le général de Gaulle et par les milieux de la France Libre.

Ses relations avec le monde juif

Elles datent de ses études de séminariste à Nancy, avant la Première guerre mondiale. Il voulut apprendre l’hébreu et, dès ses 20 ans, il eut toujours la volonté d’affirmer les racines juives du  christianisme. Pour lui, la Bible, les études bibliques et l’ exégèse étaient donc fondamentales.

En 1918, de retour en Palestine, il rencontra différentes personnalités du monde chrétien d’Orient et du monde Juif.

Il faut rappeler que le peuple juif fut longtemps considéré comme « déicide », ce terme signifiant littéralement « meurtrier de Dieu ».Tout le peuple juif était considéré comme responsable de la  Passion du Christ.

L’anticipation de Nostra Aetate

Durant le pontificat de Pie XII, il apporta son soutien à tous les chrétiens qui s’impliquaient dans les relations avec le judaïsme. Avant 1959, alors qu’il était secrétaire de la Sacrée Congrégation pour les Églises orientales, il appuya des hommes comme Paul Démann, prêtre de Sion, qui joua un grand rôle dans la rédaction des fameux « Dix points de Seelisberg » (conférence tenue dans le petit village de Seelisberg en Suisse en 1947 dans le but d’étudier les causes de l’antisémitisme chrétien).

Parmi ces points figuraient :

– Le rappel que c’est le même Dieu vivant qui parle à tous, dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament.

– Que Jésus est né d’une Vierge juive, de la race de David et du Peuple d’Israël et que Son amour éternel et Son pardon embrassent son propre peuple et le monde entier. Mais aussi que les apôtres et les premiers martyrs étaient juifs…

Eugène Tisserant avait aussi soutenu la possibilité d’une liturgie catholique de rite hébreu.

On peut donc dire que, d’une certaine manière, il anticipa la Déclaration Nostra Aetate (déclaration du concile Vatican II sur les relations de l’Église catholique avec les religions non chrétiennes : judaïsme, islam, …) car il souhaitait que l’Église catholique prenne en compte le monde juif et établisse avec lui des rapports de filiation. ***

Pour conclure

Mgr Tisserant fut avant tout un prêtre et à ce titre, il servit l’Eglise avec bonté et avec toute son intelligence. Quoi qu’il lui en coûta, il demeura toujours obéissant à l’autorité. Par ailleurs, son sens du service ne se limita pas aux seuls chrétiens car pour lui, toutes les personnes comptaient de la même manière, qu’elles soient riches ou pauvres, juives, orthodoxes, chrétiennes ou non.

Ami de Mgr Muller, curé de la paroisse St Philippe du Roule, il était donc venu, le 06 mai 1956,  présider la célébration de la confirmation des enfants que nous étions et qui devaient l’année suivante, renouveler les promesses de leur baptême et professer solennellement leur foi.

Sans doute cet homme de coeur, grand serviteur de l’Eglise, pria-t-il intensément l’Esprit Saint au moment de l’imposition des mains (geste qui signifie la transmission du don de Dieu, sa présence, son affection et sa confiance à l’égard de celui qui reçoit le sacrement) afin qu’Il nous donne la force nécessaire qui nous permettrait d’affronter les réformes et les « turbulences » que traverserait l’Eglise Catholique et le monde dans les années à venir.

Georgette

Illustration : Wikimédia Commons – Photo du cardinal Tisserant (1958) – Libre de Droit

Sources : *  Eugène, cardinal Tisserant – Étienne FOUILLOUX – Editions : Desclée de Brouwer –  ** Académie Française – Biographie du cardinal Eugène Tisserant- *** VaticanNews – Manuella Affejee – Cité du Vatican – **** Hommage à Mgr Tisserant (Fondation Ordre de Malte).

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