Homélie du 23ème dimanche du temps ordinaire (Année C)

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L’Évangile, même si c’est d’abord l’annonce de la bonté de Dieu qui nous relève, l’Évangile c’est aussi un appel à construire, un appel à se battre contre l’injustice, ce qui n’est pas facile, car cela demande de mourir à soi-même. Jésus nous le rappelle aujourd’hui d’une manière qui nous écorche sans doute : « Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite, ne peut être mon disciple » (Lc 14, 27)

Qu’est-ce que ça veut dire « porter sa croix » ? Ce n’est pas un appel au martyr, comme si pour suivre Jésus il fallait mourir comme lui sur une croix.Non, c’est l’inverse qui est marqué ici : de prendre d’abord une croix qui existe déjà, une croix qui est la nôtre, et d’aller avec elle à la suite de Jésus.

Chacun de nous a une croix, c’est notre croix. C’est tout ce qui nous fait souffrir et nous fait mourir. Cette croix est une réalité, et c’est une bonne nouvelle qu’il nous soit dit que c’est avec cela que nous pouvons aller vers le Christ.

Jésus explique ensuite ce qu’il veut dire avec deux très courtes petites paraboles.

Il nous invite à nous asseoir et à bien calculer. Notre croix réside souvent dans l’écart qu’il y a entre l’idéal et la réalité, des blessures, des déceptions, des faiblesses. À l’image de cet homme qui se construit un donjon et de ce roi qui part à la guerre, nous rêvons de grandeur, de sécurité et de victoires. C’est normal, et nous avons un peu de tout cela, mais jamais assez, jamais comme nous le souhaiterions.

Alors, il est bon de nous arrêter, de nous poser, pour considérer notre espérance mais aussi le monde où nous sommes, et de commencer à voir quelle est notre croix, comment la porter, comment avancer.

Nous avons deux sortes de croix :

Les premières, ce sont les croix que nous subissons, des faiblesses, des défauts, des blessures. Ces croix nous sont imposées d’une façon ou d’une autre, parfois nous les portons un peu, parfois nous croyons nous en sortir en les refusant, ou en faisant semblant de ne pas les voir. C’est une source de souffrance et de handicap.

Les secondes, ce sont les croix que nous décidons de porter librement, et plus joyeusement que les premières, c’est par exemple un coup de main que nous donnons à quelqu’un pour l’aider à soulever sa propre croix, ou un combat pour plus de justice ou de beauté en ce monde.

Ces deux sortes de croix, on les retrouve dans les deux petites paraboles que Jésus nous donne :

Construire sa tour c’est travailler à pouvoir se tenir debout solide et fort, une tour permet de mieux résister et de voir ce qui arrive suffisamment à l’avance… construire sa tour c’est une image de notre propre construction, à travers la résolution de nos croix anciennes, que sont nos fautes, nos défauts et nos manquements.

Et être un roi qui s’en va vers la victoire, c’est avoir trouvé sa vocation, s’être chargé librement et joyeusement de croix nouvelles pour faire avancer la vie.

Ces deux sortes de croix que nous avons à porter, nous les connaissons bien, en tout cas d’une manière théorique. Mais concrètement, c’est plus délicat. Tant de choses nous empêchent de connaître et d’accepter de porter les premières croix. Quant aux secondes, le juste milieu n’est pas facile à tenir, tantôt nous voudrions sauver le monde entier et tantôt nous sommes fatigués rien qu’à l’idée d’aider une seule personne que nous aimons pourtant. C’est ainsi que telle personne est d’une générosité si grande qu’elle s’épuise ou s’aigrit à la tâche, alors que telle autre vit dans un égoïsme glacé.

Nous avons bien besoin de nous asseoir et de calculer. Ce temps de pause n’est pas une perte de temps, c’est un investissement vital. C’est prendre conscience en vérité de nos forces et de nos croix, de nos fondations solides en Dieu et de l’élévation possible. Nous pouvons prendre notre croix sur l’épaule, et en route.

Avec le Christ, il est plus facile de porter notre croix. Non seulement de le prendre, mais de le lever puis d’avancer avec. Dans l’Évangile, ce qui est essentiel, c’est d’avancer. Stagner, c’est mourir.

C’est comme cela que je comprends cet appel radical de Jésus à « renoncer à tout ce que nous possédons, tout ce que nous aimons, pour pouvoir le suivre » : c’est un appel à une certaine mobilité. Ce n’est certainement pas un appel à sacrifier sa vie avec un héroïsme morbide. Au contraire, l’appel au renoncement est un appel à accepter le principe vital de bouger, de changer, d’évoluer soi-même, et d’être aussi source d’évolution pour créer de nouvelles et belles choses, pour embellir la vie.

L’Évangile n’est donc pas une évasion hors de la réalité de ce monde. Au contraire, c’est avec notre réalité, notre croix, bien de ce monde, que nous sommes appelés à suivre le Christ. Jésus nous aide à ouvrir les yeux sur la réalité, à prendre ces croix qui nous crucifient, nous et notre monde, puis il nous appelle à avancer avec Dieu qui avance sur le chemin et souvent nous porte.

L’Évangile nous apprend qu’il est possible d’avancer et même d’accomplir quelque chose, pas seulement de s’accomplir soi-même, mais aussi d’aider telle personne à porter sa croix et à avancer.

Amen.

 

 

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