Fratelli Tutti – Conférence d’Emeric Dupont le 5/10/2021 au presbytère d’Enghien

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Mardi 05 Octobre, à la maison paroissiale d’Enghien, le père Emeric Dupont donnait une conférence sur la lettre du pape François Fratelli tutti.

Nous vous invitons à en découvrir le texte.

Introduction

Fratelli tutti est une lettre encyclique et doit donc être remise dans son contexte historique. Sa portée est moindre que celle d’un concile. Tout d’abord il faut citer trois mots utilisés pour désigner ce texte :

  • Généalogique : le texte est basé sur la genèse de l’homme qui le fonde à être fraternel.
  • Messianique : dans la lignée de Vatican 2, la lettre insiste sur la nécessité d’un changement profond de notre monde et à ce titre c’est un texte pastoral.
  • Kairos : désigne le moment favorable choisi par Dieu pour l’accomplissement de son dessein. La période de pandémie constitue le moment opportun pour mettre en avant la nécessité des liens fraternels. C’est un temps d’inquiétude et de fragilité.

Par ailleurs, il faut bien comprendre la dimension philosophique de ce texte. Il faut se souvenir que depuis le 13eme siècle à la suite de Saint Thomas d’Aquin (disciple d’Aristote, élève de Platon), on considère que ce qui fonde l’homme est son intelligence. Il est capable de nommer, classer et devenir maître de la nature. Ce point de vue est éminemment « individualiste ».

Le pape François se tourne vers Saint Bonaventure (théologien franciscain) qui à la suite de Platon et aussi de Saint François, considère que ce qui caractérise l’homme c’est sa capacité à contempler et ressentir son environnement. L’homme peut retrouver dans la Nature la trace du Créateur. Il peut « spiritualiser » le monde qui l’entoure. L’homme n’est plus un « individu » mais le centre d’innombrables connexions avec le vivant. Cette façon de voir cadre bien avec la formation jésuite du pape François qui privilégie l’approche spirituelle de Dieu à une approche théologique. On apprend à goûter, avec les sens, l’Evangile puis louer et rendre grâce. On mobilise le corps et les sens beaucoup plus que l’intelligence (exercices de Saint Ignace de Loyola).

Structure du texte et approche de cette conférence

Cette lettre encyclique se situe dans la lignée des encycliques sociales, traitant de notre vie en société. En abordant la question de la fraternité on débouche sur un nouveau concept : l’amour social. Cet amour fraternel doit conduire à un changement de nos relations et de notre vie en société.

La structure du texte est assez classique, en trois points :

  • Voir (chapitre 1) : « fixer l’attention sur certaines tendances du monde actuel qui entravent la promotion de la fraternité universelle »
  • Juger (chapitres 2 et 3) : confronter la Bible, l’Ecriture à ce que je vois.
  • Agir (chapitres 4 à 8) : que décide-t-on de faire suite à ces constats et ces écarts.

On va plutôt s’intéresser à un processus de transformation que l’on peut aussi décliner en trois points :

  • Ouvrir les sens : toute vraie rencontre est une expérience spirituelle.
  • S’ouvrir à la terre et au monde : « l’amour nous met enfin en tension vers la communion universelle. Personne ne mûrit ni n’atteint sa plénitude en s’isolant » (§95)
  • Reconnaître la dimension sacrée de nos relations autrement dit vivre en fraternité.

Première étape : ouvrir les sens

  • Le pape François utilise la parabole du bon samaritain pour illustrer l’expérience de la relation au frère. Ceci avait été déjà développé par Emmanuel Levinas (grand ami de Jean Paul 2).

L’Ancien Testament comporte de nombreux textes sur ce sujet :

  • Gn 4 9 : « Où est Abel ton frère ? »
  • Lv 19 18 : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même »
  • Jb 31 13 15 : « Mon serviteur n’a-t-il pas comme moi été créé dans le ventre ? Un même Dieu nous forgea dans le sein »

Noter l’importance des textes et recommandations où Dieu s’implique personnellement

  • Ex 23 9 : « Tu n’opprimeras pas l’étranger. Vous savez ce qu’éprouve l’étranger, car vous-mêmes avez été étrangers au pays d’Egypte »
  • 1 Jn 2 14 24 : « Nous devons nous aussi donner notre vie pour nos frères. »
  • Ga 3 26 29 : « Baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ :il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus. »

Dans la parabole du bon samaritain il y a une invitation à être sensible aux opportunités de chaque jour, à se laisser toucher par les joies et les peines de ceux qui nous entourent. On pourra s’identifier tour à tour à l’un des protagonistes.
Alors que ce qui est promu dans la société actuelle, c’est la réussite individuelle, le pape veut montrer qu’il est temps de refaire fraternité, de refaire du « nous ». C’est cela qui nous transforme et change le monde. Habitons ensemble la maison commune. Laudato Si insistait sur la dimension environnementale alors que Fratelli Tutti se place sous l’angle éthique.

Deuxième étape : ouverture au monde

Vivre la joie en sortant de soi. Avec les saints cette démarche s’appelle l’extase. La radicalité de la rencontre avec les autres devient un mode de vie. Antigone de Sophocle : « Je suis faite pour partager l’amour et non la haine » on peut paraphraser : « je suis fait pour la vie et non la mort. »

Le pape dénonce certaines formes de nationalismes étroits qui rétrécissent les horizons et empêchent l’avènement d’une vision commune du monde.
« L’amour crée des liens et élargit l’existence s’il fait sortir la personne vers l’autre. Faits pour l’amour, nous avons en chacun d’entre nous « une loi d’extase » : sortir de soi-même pour trouver en autrui un accroissement d’être » (§ 88)

Troisième étape : Ouvrir le dialogue

Il faut d’abord être bien conscient que c’est à moi en premier que revient l’exigence d’aller vers les autres et d’établir un « vrai » dialogue basé sur quatre principes :

  • Le temps est plus important que l’espace
    En effet seul le temps permet le changement et la possibilité de se convertir. L’espace donne rapidement lieu à des catégories, des barrières.
  • L’unité est supérieure au conflit
    Nous sommes issus du même Créateur et Dieu veut notre entente.
  • La réalité vaut mieux que les idées
    L’idée est floue pas forcément applicable. La réalité est expérimentale et concrète.
    Le tout est supérieur à la partie
  • La réalité c’est la totalité et non pas la partie.

Avec ces quatre principes, le pape promeut une véritable « chasteté relationnelle ». Cela veut dire que le regard sur l’autre est non dominateur. L’autre est un sujet et non un objet. Il n’y a pas de main mise sur les êtres, ni de désir de suprématie. L’assertivité dans le dialogue consiste à reconnaître que chacun peut affirmer qui il est. Cela permet de repérer les points de contact possibles entre les personnes.

Enfin le Père Emeric rappelle les 3 types de théologie des religions :

  • Les exclusivistes : 1 seul détient la vérité.
  • Les inclusivistes : 1 détient la plénitude de la vérité mais les autres détiennent des parties de la vérité.
  • Les pluralistes : toutes les religions se valent.

Le pape, quant à lui, est tenant d’une quatrième vision reposant sur le fait que la vérité est encore à venir (le Messie n’est pas encore revenu dans sa gloire). Au dernier des jours, il y aura des surprises : la vérité n’est pas épuisée, il y a des réserves à découvrir.

Conclusions

Nous sommes un petit troupeau qui veut être guidé par Dieu dans la plénitude de sa volonté. Nous ne sommes pas propriétaire de sa révélation mais nous devons au contraire la diffuser. On se rappelle Mt 5 45 : « Aimez vos ennemis, et priez pour vos persécuteurs, afin de devenir fils de votre Père qui est aux cieux, car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et tomber la pluie sur les justes et les injustes. »
Ce qui compte c’est d’entrer dans un processus de transformation spirituelle visant l’ouverture au dialogue avec les autres.
La peur de ne pas pouvoir satisfaire toutes les faims ne doit pas entraver nos démarches : relire Jn 6 : c’est Jésus qui multiplie les 5 pains et les 2 poissons pour nourrir la foule.
« L’amour de l’autre pour lui-même nous amène à rechercher le meilleur pour sa vie. Ce n’est qu’en cultivant ce genre de relations qu’on rendra possible une fraternité ouverte à tous » (§94)

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Importance du respect de la parole donnée dans la conduite des rapports humains : Saladin et le prince de Montmorillon.

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