La Toussaint du Ciel

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C’est à l’aide d’une enluminure, extraite du livre d’heures (bréviaire simplifié à l’usage des laïcs) commandité par Etienne Chevalier (v. 1410- +1474), grand commis aux finances des rois Charles VII et Louis XI, que nous allons méditer la solennité de la Toussaint. Appelée Adoration de la Trinité ou Toussaint du ciel, elle a été décorée par le peintre Jean-Fouquet ((v. 1420 – + 1477 ou 1481).

 

 

La combinaison d’un fond jaune, entouré d’une couronne d’anges orange, bordée d’autres d’un bleu royal, fait ressortir l’intensité de la présence divine. L’espace, composé en profondeur, forme un tunnel ascendant qui débouche sur la « Lumière ». Tel un trou de serrure pour une clef gigantesque, il est constitué d’une mandorle circulaire éclairée par la présence de la Trinité et dessinée par les rangées concentriques d’anges, serrés les uns contre les autres, sur lesquels se projettent des reflets dorés. Sur les neuf créatures angéliques de la hiérarchie céleste, Fouquet n’a retenu que les séraphins rougeoyants (qui dans la bible se tiennent autour du trône de Dieu) et les chérubins (nom venant de l’Assyrien Keroub = celui qui prie, celui qui communique) d’un bleu profond.

Sur une estrade, La Trinité siège sur un banc à triple dossier surmonté de trois dais. De ce « trône » rayonne, dans toutes les directions, une lumière dorée. Vues de face, les visages des trois Personnes (Père, Fils et Esprit) sont identiques. Le Christ ne peut être distingué des deux autres (nulle trace des souffrances de la Passion pour le reconnaître). Vêtues d’une simple tunique blanche, elles président dans une pose naturelle et détendue, leur regard tourné vers la Vierge. Fouquet a voulu mettre en relief leur égale divinité par le partage d’une assise commune qui nous dit l’humilité de Dieu. Outre leur allure semblable, toutes trois ont la tête ornée d’un nimbe circulaire à peine visible fait d’un cercle d’or finement tracé et enrichi de trois gerbes de rayons. Chaque personnage bénit de la main droite tandis que celle de gauche tient le même globe terrestre sur lequel n’apparaît pas de croix. Les seules différences résident dans leur façon de le tenir (celui de gauche le tient plus haut que les deux autres qui le plaquent contre leur genou) et dans la longueur des tuniques (la plus longue est celle de la Personne à droite). Le centre de gravité symbolique de la miniature est la Sainte Trinité. Encadrant le banc se devine un trapèze tête en bas ; sur son côté gauche, la Vierge Marie, de profil, est assise sur un trône distinct. Elle est couronnée et dotée, elle aussi, d’un nimbe transparent. Les quatre vivants de l’Apocalypse sont présents dans l’espace divin : l’aigle de Jean en haut à gauche et l’ange de Matthieu à droite, le taureau de Luc en bas à gauche et le lion de Marc à droite. Tous s’inscrivent dans la sphère délimitée par les séraphins. Marie est, avec les quatre évangélistes, la seule créature admise dans la zone céleste la plus proche de Dieu, à hauteur des anges et au-dessus de tous les saints.

Les bienheureux, anges ou humains, sont plongés dans un clair-obscur doré. Tous, formant le chœur des sauvés, éclairés par la lumière divine, sont assis de chaque côté sur des gradins, sur cinq rangées. En bas, se trouvent des jeunes femmes (certaines tiennent une palme à la main). Ce sont les vierges et les martyres. La nuée lumineuse, sous leurs pieds cachés par leur robe, s’interrompt pour laisser libre un espace où s’engouffre une foule nombreuse. En remontant les gradins, nous distinguons : des prélats (évêques mitrés et à gauche un pape tiaré). Au rang médian, sur la gauche, apparaît un géant avec un long bâton, à côté de lui, des hommes difficilement identifiables et, en face, un homme casqué. Sur les dernières rangées sont réunis des vieillards barbus, peut-être les apôtres, et tout en haut, les patriarches, prophètes et rois de l’Ancien Testament. En bas, vue de dos, une foule compacte fait irruption dans cette assemblée. Ils affluent par les côtés et convergent vers l’allée formée par les rangs des élus. Pour donner l’illusion du grand nombre, Fouquet n’a peint que les têtes. Les nouveaux arrivants, vus de dos, contemplent Dieu. Ce sont les « Saints Inconnus » qui n’ont jamais été béatifiés ou canonisés. Les derniers sont représentés de profil ou de trois quarts, astuce qui permet de découvrir des visages sur lesquels se reflète la lumière divine.

Dans cette miniature, l’Église « fait corps ». Clarté, ordre et unité règnent sur cette vision de la vie éternelle. De cette nombreuse assemblée se dégage une impression de continuité, de paix et de réconciliation. La douce intimité, créée par la pénombre, permet de pressentir la joie procurée par la contemplation de la Trinité qui est, pour toujours et pour tous, ce feu qui éclaire, réchauffe et se révèle pacifiant. Fouquet a su peindre le caractère dynamique et comblant de ce moment de bonheur, appelé à durer éternellement, auquel nous sommes tous conviés. Le spectateur, comme attiré vers Dieu (Trine et un à la fois) qui rachète et rassemble tous les hommes, semble inviter à prendre place dans cette assemblée du peuple « des baptisés », appelée à cette « Sainteté » qui retentit dès les premières pages de la Bible. L’Église ainsi formée, entrainée par les précurseurs dans la foi, montre qu’elle continue à être en « marche » pour construire le royaume désiré, dès le commencement, par celui qui a dit son nom à Moïse, « Je Suis ». En ce jour de la Toussaint, redisons avec force ce que nous proclamons à chaque Eucharistie : « Je crois en Dieu … créateur du ciel et de la terre, de l’Univers Visible et Invisible » … « à la Communion des Saints » … et demandons Lui la force de témoigner de sa Sainteté afin d’éclairer le monde.

 

Georgette
Source : La trinité dans l’art d’Occident – Presses universitaires de Strasbourg.
Illustration : Wikimédia Commons – La Trinité et tous les saints : Heures d’Étienne Chevalier, enluminées par Jean Fouquet Musée Condé, Chantilly, R.-G. Ojeda, RMN – Domaine public

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