Albert Kahn et les jardins de Boulogne Billancourt

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C’est la rentrée et les événements actuels provoquent en nous une certaine appréhension. Malgré nos questionnements, le meilleur remède, pour demeurer optimiste, reste l’émerveillement, le ressourcement. A proximité de chez nous, nous pouvons découvrir des endroits porteurs d’espérance. C’est le cas des jardins, classés depuis 2015 au titre des monuments historiques, conçus par Abraham (Albert) Kahn (1860-1940) à Boulogne Billancourt.

 

Né à Marmoutier, c’est à l’âge de 16 ans que le jeune alsacien arriva à Paris. Après avoir travaillé pendant quelques temps chez un tailleur-confectionneur de la rue du Faubourg-Montmartre, il entra à la banque des frères Edmond et Charles Gouchaux et reprit sa scolarité interrompue. Après l’obtention d’une licence en droit, en financier avisé, il fit fortune grâce à de judicieux placements boursiers dans les mines d’or et de diamants de l’Afrique du Sud et dans des investissements au Japon. C’est ce qui lui permit d’ouvrir sa propre banque. Très marqué dans son enfance par la guerre franco-prussienne de 1870, il consacrera sa richesse à l’établissement de la paix universelle. Au début de celle de 1914-1918, il créa le Secours National dans le but d’aider les populations civiles. En mars 1916, il mit en place le Comité National d’Etudes Sociales et Politiques (CNESP) afin de comparer, entre politiques et spécialistes, les solutions apportées aux maux de l’humanité. Dans le but de promouvoir la formation de chercheurs en sciences économiques et sociales, il finança la création du Centre de Documentation Sociale de l’Ecole Normale Supérieure, des bourses d’études ….

Cet humaniste avait confié, dans la revue France Japon du 15-08-1938 : « Ce que j’ai cherché, c’était le chemin de la vie… Essayer d’y arriver, reste le plus noble devoir de l’homme ». Visionnaire, il avait eu, très tôt, l’intuition que son époque allait vivre une transformation accélérée des sociétés entraînant la disparition de certains modes de vie. En 1912, il déclarait : « La photographie stéréoscopique (en relief), les projections, le cinématographe surtout, voilà ce que je voudrais faire fonctionner en grand afin de fixer, une fois pour toutes, des aspects, des pratiques et des modes de l’activité humaine dont la disparition fatale n’est plus qu’une question de temps ». C’est grâce à deux des inventions des frères Lumière : le cinématographe et l’autochrome (technique industrielle de photographie couleurs produisant des images positives sur plaques de verre) et au travail d’une dizaine d’opérateurs, envoyés entre 1909 et 1931 dans une cinquantaine de pays, qu’il réunira une centaine d’heures de films et 72000 clichés destinés à la création d’un musée de la planète. Il était persuadé que : « La connaissance des cultures étrangères encourage le dialogue, le respect et les relations pacifiques entre les peuples ». Cette collection (la plus importante du monde) demeure le témoin d’un monde toujours en mutation.

C’est dans un esprit universaliste, qu’il conçut, dans sa propriété de Boulogne-Billancourt, un parc, sorte de mosaïque mêlant les styles de différents pays : le village japonais, avec ses deux maisons et un pavillon de thé, a partiellement été remplacé, en 1990, par celui du paysagiste Fumiaki Takano. Avec cette nouvelle création, il a voulu rendre hommage à la vie et à l’œuvre d’Albert Kahn. La symbolique de cet espace suit les axes essentiels de l’existence. Celui de la vie est évoqué par la rivière et par les constructions coniques en relief, celui de la mort est représenté par les constructions en cône inversé et le féminin-masculin est incarné par le hêtre pleureur et le cèdre.

Un jardin à la française s’étend devant des serres. Dans le verger ornemental qui le jouxte, se mêlent arbres fruitiers taillés et rosiers anciens. Le jardin anglais se déploie autour d’une vaste pelouse vallonnée où serpente une rivière.

Les différentes essences forestières témoignent de la passion d’Albert Kahn pour la diversité des espèces végétales. La « forêt vosgienne », plantée de pins et d’épicéa est parsemée, d’un côté de rochers de granit rappelant les paysages du massif lorrain où Albert Kahn passa son enfance et le versant alsacien s’agence autour d’une combe émaillée de blocs de grès. La « forêt bleue » présente un ensemble de cèdres de l’Atlas et d’épicéas du Colorado formant un écran végétal bleuté où contrastent au printemps les fleurs d’azalées et de rhododendrons. Au centre, un double plan d’eau agrémenté de plantes aquatiques permet des jeux de lumière. La « forêt dorée » et sa prairie d’herbes hautes, où se mêlent des fleurs vivaces, accueille des bouleaux qui se parent, à l’automne, de teintes dorées.

A deux pas de la Seine et du Pont de Saint-Cloud ces jardins, fruit du rêve de ce philanthrope idéaliste qui, en œuvrant pour la coopération et la communication internationale, désirait jeter les bases d’une paix internationale, font partis d’un Musée Départemental comprenant également le bâtiment des Archives de la Planète. Actuellement en cours de rénovation, il sera réouvert en 2021. Mais les collections d’images restent disponibles sur le site : (http://collections.albert-kahn.hauts-de-seine.fr/)

En arpentant ce lieu magique, les paroles du chant « Par cette main tendue …, par ce regard d’amour qui relève et réchauffe … je veux crier : Mon Dieu, tu es grand, tu es beau, Dieu vivant, Dieu très-haut, Tu es le Dieu d’amour…» ou encore : « Que tes œuvres sont belles, que tes œuvres sont grandes, Seigneur, Seigneur, tu nous combles de joie … » ne peuvent que monter à nos lèvres !

 

Georgette
Illustrations : photos G. et Jean-Lucien G.

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