Homélie du 1er dimanche de l’Avent

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Vous connaissez peut-être cette phrase de Bernard Weber : « Entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous croyez en comprendre, ce que vous voulez comprendre, et ce que vous comprenez, il y a au moins neuf possibilités de ne pas se comprendre. »

Nombreuses sont donc les occasions de ne pas se comprendre, et par conséquent d’entrer en conflit. Cela est vrai dans nos familles, mais cela est vrai aussi dans nos communautés, dans nos activités professionnelles ou associatives, dans notre société et dans notre monde. Le climat social est aujourd’hui très tendu. La violence n’est jamais loin, prête à éclater.

Comment construire la paix ? Comment favoriser la paix ? Notre temps liturgique, l’avent, prépare la venue du prince de la Paix, et le prophète Isaïe, aujourd’hui, nous ouvre des chemins de paix.

Tout d’abord, relevons ce que la paix n’est pas, pour Isaïe. Elle n’est pas ce que les pacifistes proclament : supprimer les armes et la paix arrivera. C’est attirant, mais c’est inexact. Supprimez l’arme nucléaire, il restera l’artillerie. Supprimez l’artillerie, il restera les fusils d’assauts. Supprimez les fusils, il restera les couteaux. Et supprimez aussi les couteaux, il restera encore les mains, les yeux qui assassinent, et les pensées malveillantes. La suppression des armes n’instaure pas la paix. La chronologie d’Isaïe souligne que c’est plutôt le chemin vers l’entente universelle qui rend l’usage des armes inutiles et même les transforment en outils agricoles. Et non l’absence d’armes qui instaure la paix. Il ne faut pas attendre d’être désarmés pour faire la paix, Isaïe invite à marcher vers la paix même si des germes de violence habitent encore en nous peut-être.

Deuxième point notable, la paix ne s’impose pas. Contrairement à toutes les paix instaurées dans le bassin méditerranéen, comme la pax romana, Isaïe ne propose pas une paix imposée par la force. La paix ne se décrète pas, elle se décide. « Allez et montons à la montagne de l’Eternel » : c’est un appel, sans contrainte. C’est librement que tous les peuples marchent vers cette montagne du Seigneur. C’est par entente mutuelle que la communion entre toutes les nations et entre les personnes s’instaurent. La meilleure manière de préparer la paix, ce n’est pas la guerre, mais la paix. C’est par une attitude pacifique envers celles et ceux avec lesquels nous souhaitons la paix qu’elle devient possible. Faites la guerre à quelqu’un, à un pays… vous n’obtiendrez que l’armistice ou la capitulation, ce qui n’est pas la paix.

La paix demande enfin un grand travail sur soi à l’écoute de l’Autre. La paix suppose un travail dans le temps, comme le montre l’indication temporelle au début de l’oracle d’Isaïe, « il arrivera dans les derniers jours », que nous pouvons traduire « il arrivera dans les jours d’après ». Quelque chose va arriver après. Un processus est engagé. Si la paix ne s’impose pas, elle ne tombe pas du ciel comme par enchantement, elle n’est pas magique ; elle est la conséquence d’une dynamique d’évolution, d’un temps de gestation. Elle vient après qu’on a travaillé pour cela.

Et ce travail à faire c’est un travail sur soi et pour sortir de soi, comme le montre l’indication spatiale qui n’en est pas tout-à-fait une : « la montagne de la maison du Seigneur se tiendra plus haut que les monts ». Ce n’est pas tout-à-fait une indication spatiale car Jérusalem culmine à 800 mètres, bien loin derrière les hauts sommets du monde, et lorsque vous êtes sur l’esplanade du Temple vous n’êtes pas sur le point le plus haut de la ville. La topographie d’Isaïe cherche plutôt à nous décentrer de nous-même. Tu cherches la paix, alors sors de toi-même, sors de ton pré carré. Ce n’est pas en étant arcbouté sur tes certitudes que la paix avance. Essaye de voir les choses depuis le lieu où se trouve l’autre, depuis son point de vue. Essaye d’écouter et de comprendre son désir le plus profond. C’est en allant au-delà de nous-mêmes, c’est en rencontrant l’autre en profondeur, qu’un mieux vivre est envisageable.

Et le point visé, ce vers quoi tous les regards convergent ; c’est la Loi qui sort de Sion; c’est la Loi qui permet d’apprendre les voies à suivre, les sentiers à emprunter. Il est précisé que c’est de Jérusalem que sort la parole du Seigneur. Autrement dit, la Loi dont il est question n’est pas la Loi écrite, mais la Loi parlée. L’horizon ultime de l’humanité n’est pas un texte, mais un enseignement parlé, un enseignement non figé, non déterminé, qui ne tient pas dans une définition. Qu’est-ce que la Loi ? Certains voudraient que ce soit une morale à appliquer, un mode d’emploi de la vie, … la Loi n’est pas cela. Oui, la Loi se pare de certaines prescriptions, de fais pas ci et de fais pas ça. Mais ces prescriptions ne sont pas des fins en soi, elles dessinent toutes le visage de l’humain. La Loi nous apprend à reconnaître les frères et les sœurs qui sont masqués par les turpitudes de l’histoire. Le voilà le travail personnel qu’il convient d’accomplir pour que la paix se fasse : apprendre à reconnaître celui que la Loi me révèle comme un frère et une sœur.

Nos attitudes, nos comportements, dépendent du regard que nous portons sur ce qui nous entoure. Nous ne nous comportons pas de la même manière avec les animaux si nous les considérons comme des garde-manger sur pattes ou comme d’autres membres de la création. Cela est particulièrement vrai pour ceux que la Loi nous révèle comme nos prochains. Cette Loi non écrite que Jésus a incarnée, elle nous révèle l’humanité, elle exerce notre regard, elle nous révèle des frères et des sœurs partageant notre dignité. Cela a des conséquences sur nos comportements. Ainsi le philosophe Emmanuel Kant recommandait : « agis de telle sorte que tu traites l’humanité dans ta personne et dans celle des autres toujours comme une fin, jamais comme un moyen. » La paix biblique passe par là, par la fin de l’instrumentalisation des personnes que nous côtoyons.

Si la paix n’est nulle part, c’est peut-être parce que nous n’avons pas encore laissé la foi transformer nos regards et nos comportements. Nous vivons les jours qui précèdent le moment de la paix universelle, ce sont les jours qui nous préparent à dire à notre voisin, à un inconnu, allez, montons ensemble à la source de l’humanité, rejoignons ce qu’il y a de plus humain en nous. C’est alors que la paix adviendra.« Seigneur, fais de nous des instruments de paix ! »

Amen

 

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