Homélie du dimanche 10 novembre à Enghien

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Comment s’appelle cette femme ? Pas une personne, pas un Sadducéen, pour nous dire comment se nomme cette femme. Elle est réduite à un objet que l’on se passe de mains en mains : elle est la fille de …, elle est l’épouse de …, elle est la veuve de …, elle est l’épouse de 7 frères … et finalement elle devient un objet d’étude, un cas à poser à Jésus pour le mettre à l’épreuve. Aux yeux des Sadducéens, elle n’a aucune existence. Elle sert à appuyer leur théorie, elle n’existe pas pour elle-même, elle est sans nom. Et d’une certaine manière, tout en étant vivante, elle est comme morte.

Le Seigneur, lui, n’est pas le Dieu des morts, il est le Dieu des vivants. Il nous connaît chacun personnellement, par notre nom. Comme le dit si bien le prophète Isaïe, « notre nom est gravé sur la paume de ses mains ». « Une mère oublierait-elle son nourrisson ? Même si elle l’oubliait, moi, le Seigneur, je ne t’oublierai pas, tu as du prix à mes yeux, et ton nom est gravé sur la paume de mes mains » (Is 49, 15-17). Nous existons personnellement devant le Seigneur. Il est le « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », et on pourrait allonger la liste, il est le « Dieu de Sara, Dieu d’Agar, Dieu de Rebecca, Dieu de Léa, Dieu de Rachel, … ».

Les rabbins se sont souvent demandé pourquoi Dieu, quand il se présente à Moïse au Buisson ardent, dit : « je suis le Seigneur, Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac et Dieu de Jacob » (Ex 3, 6). Pourquoi répète-t-il trois fois le mot de Dieu et ne dit-il pas simplement : « Je suis le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob » ? En reprenant trois fois le nom de Dieu, il a répondu que chaque patriarche avait une relation unique et personnelle avec Dieu. Cette relation unique et personnelle nous fait exister, nous fait vivre. Cette relation unique et personnelle existe dès notre conception, grandit sur cette terre et s’épanouit dans l’au-delà de notre temps, en nous faisant vivre en Dieu. Et donc, si nous vivons en Dieu, alors nous entrons dans les relations uniques de Dieu avec chaque personne. Ce que Dieu a uni sur terre, Dieu ne le sépare pas au ciel. Nous vivrons toujours de toutes les relations tissées au cours de nos vies, mais nous vivrons aussi pleinement une communion avec chacun, aussi forte que celle qui unit le Seigneur avec chacun de nous. Nous serons un avec Dieu, et donc un avec tous les membres de son Corps.

Pourquoi faire référence spécialement à Abraham, Isaac et Jacob ? Si Dieu se présente en faisant référence à chacun d’eux, c’est parce que leur façon d’être est essentielle et peut nous apprendre à devenir des vivants dès cette terre en attendant de le devenir pleinement dans l’au-delà, à ressusciter aujourd’hui en attendant de ressusciter dans l’au-delà.

Abraham nous invite à entrer dans sa démarche de foi : « Quitte ta terre, quitte ta famille, quitte tes biens, et va vers le pays que je te montrerai ». Ce pays n’est pas encore connu, le projet de Dieu lui échappe largement, mais il se met en marche, il quitte sa famille et sa terre marquée par la mort, mort de son frère, stérilité de sa belle-sœur, mort du projet de son père, pour avancer vers la Vie, même s’il n’en discerne pas encore tous les contours. Il nous emmène dans ce mouvement de la foi, qui fait de nous des vivants.

Jacob est bien connu pour sa force dans la prière. On se souvient bien de ce combat que Jacob mena toute une nuit contre un inconnu et qui symbolise ce combat de la prière avec Dieu. La prière est un combat, parce qu’elle n’est pas toujours évidente, mais aussi parce que nous avons tellement de choses sur le cœur, qui ont besoin d’être dites, criées même parfois. Ce combat, ce dialogue en vérité avec Dieu, nous fait exister, nous fait vivre avec tout ce que nous portons de joies, de peines, de désespoirs ou d’espérances. Ce qui est dur ne nous écrase plus, ne nous anéantit plus, mais est lancé vers Dieu, qui le transforme en bénédiction.

Isaac est moins connu. Mais il apporte une façon d’être essentielle, comme le sont la foi d’Abraham et la prière de Jacob. La Bible parle peu d’Isaac, elle nous dit pourtant une chose intéressante pour nous. « Isaac creusa de nouveau les puits qu’on avait creusés du temps d’Abraham, son père, et que les Philistins avaient bouchés après la mort d’Abraham… » (Genèse 26, 18)

Comme Isaac après la mort de son père Abraham, quand nous sommes dans le deuil d’une personne que nous aimons, nous sommes d’une certaine façon dans un monde où les puits ont été bouchés par du sable. Une personne que nous aimions, une personne qui était pour nous une bénédiction de Dieu n’est plus à nos côtés. Comment vivre cette absence aujourd’hui ? Comment vivre ce qui est un véritable désert ? Comment y faire face ? Pas seulement en parlant de la vie future où l’on retrouvera les personnes que nous avons perdues, mais en creusant comme Isaac les puits enfouis, en redécouvrant la source de bénédictions que cette personne a été pour nous, en laissant Dieu ressusciter en nous cette bénédiction que peut être encore vraiment cette personne que nous aimons.

Beaucoup de raisons peuvent nous rendre secs : le désespoir, la révolte contre l’injustice, l’absurdité de la mort, un sentiment de culpabilité, fondé ou non. Ça peut être mille choses encore. Peu importe, sous toutes ces raisons qui assèchent nos vies, il y a et il y aura toujours la source d’eau vive, une source de vie et de joie de vivre : notre Dieu ne nous abandonne pas.

Voilà pourquoi, nous pouvons recreuser les anciennes sources de bénédiction des générations passées, nous rappeler les paroles nourrissantes et désaltérantes qui nous ont fait vivre, approfondir cette relation unique avec Dieu, qui jaillit comme une eau vive au plus profond de nos vies.

Voilà pourquoi la louange est si importante. Prenons le temps, au soir de chaque journée, de remercier Dieu pour ce que telle personne nous a apporté, parce que, grâce à elle, nous avons pu avancer et recevoir peut-être un supplément de foi, ou d’espérance, ou de capacité à aimer, ou la force de pardonner… parce que, grâce à elle, quelque chose en nous est passé un petit peu de la mort à la vie. Cette personne a été une bénédiction pour nous, et si cela a été possible c’est qu’elle était vivante d’une capacité créatrice qui est de l’ordre du divin, du Créateur.

C’est agréable et juste de « ruminer » ainsi les belles choses qui nous sont arrivées, et en passant dans nos cœurs toutes ces belles choses, Dieu fait de nous alors une source de bénédiction pour les autres, Dieu fait de nous des vivants.

Amen.

 

 

 

 

 

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