Homélie du 28ème dimanche ordinaire (année B)

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  • Un homme se présente devant Jésus avec bonne volonté et lui demande des conseils pour vivre. Excellente démarche. En revanche, les réponses successives de Jésus sont étonnantes, voire scandaleuses.

D’abord, Jésus refuse d’être appelé « bon », faisant alors une différence radicale de nature entre Dieu et lui-même, Jésus, le Christ.

Ensuite, quand le jeune homme lui demande « que ferai-je pour hériter la vie éternelle? » la réponse de Jésus est tout à fait choquante. Jésus ne cite que 5 des 10 commandements de la Loi, et même pas ceux auxquels on s’attendait. Jésus fait l’impasse sur la 1ère des 10 paroles de Moïse, cette parole qui pose la grâce de Dieu comme la base de tout, une grâce qui nous libère de tout. Jésus fait l’impasse sur les 2e, 3e et 4e commandements qui appellent à respecter Dieu et à garder du temps pour le chercher. Jésus ne garde ici dans la Loi de Moïse que la morale la plus basique : ne pas tuer, voler, mentir, tromper : ce qu’il résume en « ne fais de tort à personne », plus le 5e commandement qui consiste à « honorer son père et sa mère ». Bref, Jésus ne garde ici que le strict minimum de la morale laïque de base, sans un mot sur Dieu. C’est complétement surréaliste. Alors que la question de cette page de l’Évangile est de savoir comment entrer dans le Royaume de Dieu.

Enfin, Jésus donne un commandement excessif : « Va, ce que tu as, vends-le et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. » Pourquoi est-ce que Jésus donne ce commandement invraisemblable? Parce que oui, c’est impossible de tout donner comme le dit Jésus ici. Il faudrait ne pas exister, car manger ne serait-ce qu’une bouchée de pain c’est déjà posséder quelque chose que l’on ne donne pas à l’autre, qui, peut-être meurt de faim. C’est donc impossible de tout donner.

Qu’est-ce que Jésus veut nous dire à travers ces réponses surprenantes?

Le dialogue que Jésus conduit ici avec le jeune homme, avec les disciples, et donc avec nous tous, ce dialogue est comme une parabole. Jésus cherche à faire expérimenter des impasses. Nous sommes un peu comme une mouche qui n’arrive pas à sortir d’une bouteille de verre, ne se rendant même pas compte qu’elle rame d’une façon totalement illusoire contre une paroi de verre infranchissable pour elle. Jésus cherche ici à nous faire prendre conscience de nos murs de verre, de nos impasses.

La première impasse que Jésus fait découvrir, c’est en refusant qu’il l’appelle « bon ». Il est utile d’expérimenter l’impossibilité d’être totalement bon. Ce n’est pas pour se résigner à la médiocrité, mais c’est pour vivre en vérité, en étant moins sévère et plus bienveillant, avec soi-même et avec les autres. C’est accepter la vie en ce monde et le tragique d’avoir souvent à choisir non pas la « bonne » voie, mais seulement la moins mauvaise possible. Nous le savons, mais nous ne le connaissons vraiment que quand nous l’avons expérimenté avec larmes et avec la joie de se sentir pardonné.

Jésus montre ensuite l’impasse d’une morale minimale. Comme le jeune homme, il est bon d’expérimenter qu’une vie réglée par une petite morale raisonnable manque de souffle, manque de vie véritable, manque de quelque chose d’absolument nécessaire. Dans une certaine mesure, nous vivons en nous contentant parfois de ce peu d’ambition, en vivant bien pépères. Jésus, dans ce passage, et dans tout l’Évangile cherche à nous faire toucher ce mur de verre, et ressentir que la vie crie en nous du manque d’une autre dimension, plus grande, plus belle.

Jésus montre enfin l’impasse du sacrifice de soi. Jésus propose un idéal infini où l’on donnerait sens à sa vie en l’offrant dans un acte de générosité infini, renonçant à être soi-même pour gagner un trésor « au ciel ». Le problème, c’est que ce type de calcul est encore de l’égoïsme, l’idée n’est alors pas d’aimer les pauvres pour les aider à vivre, mais ils ne sont là que comme une occasion d’acheter son petit salut à soi.

Le jeune homme ressent une seconde impasse cruelle. Il est riche. Riche d’argent, peut-être. Il a en plus une intelligence, une foi, un goût de vivre et d’avancer. Il sait qu’il est riche d’être lui-même tel qu’il est déjà car Jésus l’aima et lui fit sentir qu’il l’appréciait, qu’il le trouvait aimable.

Il est donc riche. Comment est-ce que Dieu lui demanderait de sacrifier ce que Dieu lui a donné pour faire plaisir à Dieu? Ça tourne en rond, c’est une folie comme celle d’Abraham qui pense un moment que Dieu lui demanderait de tuer le fils que Dieu lui a donné selon sa promesse! Après l’impasse de la morale minimale, Jésus nous aide à sentir que c’est une folie sombre et triste de vouloir se sacrifier afin de se sentir digne d’être aimé.

De toute façon, dit le Christ, même en faisant une formidable cure d’amaigrissement un chameau ne passera pas dans le trou d’une aiguille. De toute façon, le salut est donné par Dieu, nous sommes sauvés comme un chameau à travers une aiguille, et c’est l’œuvre de Dieu.

La vie est un don de Dieu, elle est un miracle de Dieu. Et Dieu peut et veut nous donner la vie. La question est donc réglée. Il l’avait déjà dit au début en nous disant que l’entrée du Royaume est pour les petits enfants, alors qu’ils ne savent rien de Dieu, n’ont rien accompli et n’ont rien offert à personne. Mais la question est d’aller au-delà de ce simple savoir pour le vivre.

La question est alors de suivre le Christ dans son cheminement. Oui nous pouvons commencer par la morale minimum, s’abstenir autant que nous en avons la force de faire du tort, éviter de tuer, de mentir, de tromper. Au moins cela, et savoir que le reste est à inventer, que nous avons à inventer la vie avec l’Amour reçu. Et pour cela, honorer Père et Mère, s’ouvrir à la gratitude et à la louange, mais aussi honorer ce Dieu Père et Mère qui aujourd’hui encore veut nous enfanter. Ce Dieu qui offre des miracles de franchissement au lourd chameau que nous sommes.

S’ouvrir enfin à ce souffle, à ce manque, à cet appétit de faire le bien qu’avait le Christ. Dans sa vie quotidienne, ce que Jésus donnait il le donnait par amour, gratuitement, sans calcul, sans penser à ce qu’il pourrait en recevoir dans cette vie, ou dans l’autre.

Amen.

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