Homélie du 24ème dimanche ordinaire (année B)

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« Passe derrière moi Satan ! » Ces paroles sont surprenantes. Non seulement à cause de leur virulence. Mais aussi parce qu’elles sont adressées à Pierre. Pierre n’est pas n’importe qui. Il a tout quitté pour suivre Jésus, sa famille, ses amis, et son métier de pécheur. Il n’a pas ménagé sa peine en de nombreuses circonstances. Et, il vient de proclamer sa foi avec courage et justesse : « Tu es le Messie ! » Qu’a-t-il donc fait pour être taxé de la plus grave des appellations ? Lui, le premier des Douze, en quoi ses vifs reproches adressés à Jésus lui valent-ils d’être devenu… diabolique ? Pourquoi cette virulence de la part du Seigneur envers son « lieutenant » ?

Jésus sait que le Malin désire gangrener le cœur de ses proches. Il sait que le Malin est suffisamment habile pour édulcorer le message de Dieu, pour détourner l’homme insensiblement du projet de Dieu, pour même le faire douter de la bonté de Dieu à l’égard de toute personne quelle qu’elle soit, et finalement lui distiller cette impression que sans Dieu il serait finalement beaucoup plus libre.

Si Satan arrive à convaincre le premier des apôtres, si Satan arrive à convaincre la tête de l’Eglise, alors il a presque gagné. « Passe derrière moi Satan ! » On comprend que Jésus, en saint Marc, soit à ce point explicite. On peut à la fois professer des lèvres que le Nazaréen est le Christ, et être habité par des intentions diaboliques ?

L’erreur, aujourd’hui, serait de croire que cela ne concerne que l’apôtre Pierre. Cette parole est pour nous aujourd’hui !de même que Pierre a été tenté, nous pouvons être tenté et connaître cette tension qui divisait Pierre.

Récemment, le 20 août dernier, le pape François a adressé une « lettre au peuple de Dieu ».Devant ce scandale de la pédophilie, qui ne semble jamais finir et nous fait profondément souffrir, car nous mesurons combien les blessures profondes de ces enfants violés dans leur intimité et leur dignité sont incommensurables, et parce que ces crimes ont été commis par des frères prêtres ou consacrés, le pape François a appelé à la prise en compte de la souffrance des victimes, « si un membre souffre, tous souffrent avec lui », mais aussi à une conversion profonde de toute l’Eglise. Il l’a fait en des termes exigeants et explicites. Il a montré comment Satan, qui se cache derrière toutes nos mondanités spirituelles, nos bavardages pieux, nous aveugle et nous fait considérer comme licite le silence, la tromperie, la calomnie, l’égoïsme, et tant d’autres maux.

Ne croyez pas que le pape voit le diable partout. Il sait que le Malin apparaît toujours sous des dehors attirants. C.S. Lewis le disait dans un de ses ouvrages, la tactique du diable : sa tactique est de nous emmener vers lui par un chemin qui y mène progressivement. « C’est la pente douce, bien feutrée, sans virages trop brusques, sans bornes kilométriques, ni poteaux indicateurs ».

Trois tentations principales guettent, il me semble, nos communautés et nos cœurs aujourd’hui.

La première tentation nous pousse à minimiser la portée de l’Évangile. Tant de fois, nous construisons un Christ à notre mesure. Tant de fois, nous bricolons un christianisme à note sauce, capable de passer partout sans heurter, sans faire de vagues. C’est la tentation de Pierre dans notre évangile : j’accepte certaines valeurs dans le christianisme, mais j’en rejette d’autres qui me semblent incompatibles avec notre monde aujourd’hui. Le Christ Messie, oui, le Christ souffrant, non. Le pape François appelle ce type de chrétiens qui succombent à ces tentations, les « chrétiens de pâtisserie » : les valeurs, oui, la croix, non. La religion, c’est très bien, à condition de ne pas aller trop loin, de rester dans la sphère du privé. Et insensiblement, on n’en vient à brader une conséquence éthique de notre foi, à mépriser un frère humain, et finalement à rougir d’être chrétiens dans le microcosme.

La seconde tentation nous susurre de chercher la première place dans les relations humaines et pastorales. Elle instille en nous ce sentiment mondain d’être le clan des parfaits, des gens bien, professant la foi de toujours, célébrant scrupuleusement selon les rites les plus purs de l’Eglise, respectant à la lettre tous les préceptes de la morale catholique et romaine, bref l’élite de l’Eglise. Rien à voir avec telle ou telle personne, qui a un parcours de vie bancal ! Nous, nous sommes les bons. Cette tentation, c’est celle des apôtres au moment de la deuxième annonce de la passion faite par Jésus. A ce moment-là, les apôtres discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand.

La troisième tentation nous fait croire que nous avons la science infuse, que nous connaissons les solutions miraculeuses en toute chose, alors que ceux qui sont à la tête de l’Eglise, au service de la paroisse ou qui nous ont précédés n’ont rien compris. Nous, nous sommes les sauveurs. Si nous appliquons notre modèle d’Eglise, de pastorale, tout ira mieux, sans considération pour les autres. C’est la tentation de Jacques et Jean, les fils de Zébédée au moment de la troisième annonce de la Passion par Jésus. Ils demandent d’être l’un à la droite de Jésus, et l’autre à sa gauche, car eux ils ont tout compris.

L’Évangile est si souvent trahi par nous !En ces temps de crise, ne soyons pas anesthésiés par le conformisme. Plus la situation est difficile, plus le témoin du Christ est attendu. Soyons annonciateurs de la joie de croire. Vivons intensément des valeurs du Christ telles qu’elles sont décrites dans la lettre aux Philippiens : « ayez une même pensée, un même amour, une seule âme, une seule pensée. Ne faites rien par esprit de dispute, ni par vaine gloire, mais que chacun, par l’humilité, estime les autres supérieurs à soi-même. Ne recherchez pas chacun votre propre intérêt, mais bien celui des autres. Ayez entre vous la pensée même qui fut en Jésus-Christ » (2, 2-5).Transformons nos communautésen des lieux de fraternité, où chacun soit bien accueillis quelque soit son histoire, ou ses options, transformons nos communautés en des lieux missionnaires, où chacun se sente responsable de l’annonce de la Bonne Nouvelle, transformons nos communautés en des lieux de solidarité, où les plus petits sont accueillis, transformonsnos communautés en des lieux où on sait se dire les choses en vérité et en charité, transformons nos communautés en des lieux où rayonne la douceur et la fermeté du Christ qui relève, et qui vient nourrir toutes nos soifs.

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