Il faut penser l’Église à plusieurs voix

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Suite à la lettre du pape François à propos de la pédophilie dans l’Église, Anne-Marie Pelletier, théologienne,  en appelle le 28 août à revisiter profondément notre vision de l’institution dans le journal La Croix.

Dans cette conjoncture où le puits de la honte semble sans fond, et puisque le pape François en appelle au « peuple de Dieu », celui-ci doit sortir du silence ! D’abord pour rappeler haut et fort, avant tout, et à tous les chrétiens dans la sidération, qu’un Seul est prêtre, « Grand prêtre » dit la lettre aux Hébreux, que rappelle Lumen gentium. Et ce Prêtre-là ne peut manquer à l’Église quelles que soient les vicissitudes du temps. Que chacun relise l’Évangile de Jean sur le « Bon pasteur », seule « porte des brebis » ! L’institution – en l’occurrence le sacerdoce ministériel – n’est pas la couronne sacrée de l’Église. Bien comprise, elle est, avec ses limites, humble service pour le temps présent, en charge de la présence sacramentelle du Christ pour le peuple des baptisés. Ce qui est tout autre chose que ce que laisse imaginer le monde des « princes de l’Église ».

Revisiter la fonction sacerdotale

Voilà qui nous met dans le vif du sujet : la nécessité impérieuse qui s’impose aujourd’hui de revisiter radicalement notre ecclésiologie. Car c’est bien une manière déficiente, déséquilibrée et hautaine de comprendre et de vivre le pouvoir sacerdotal, qui est pour beaucoup, en amont des crimes de pédophilie et des scandales d’autorité. Une théologie traditionnellement pyramidale de l’Église a conforté une identité du prêtre comme chrétien d’élite, en surplomb des autres baptisés, recevant juridiction sur la vie des autres. La toute-puissance qui en résulte autorise forcément les débordements, levant en particulier les obstacles à l’exercice des fantasmes de certains. Cette réalité doit être aujourd’hui interrogée avec courage. D’abord dans les séminaires, mais aussi par des chrétiens qui n’échappent pas toujours à une vision sacralisée de la fonction sacerdotale, que l’Évangile récuse pourtant. À ce titre, nous ne pouvons plus nous en tenir à une ecclésiologie élaborée et mise en œuvre exclusivement par des clercs. Il faut penser l’Église à plusieurs voix. Dont évidemment celle des femmes. Celles-ci ont une expérience privilégiée, si l’on ose dire, des suffisances cléricales et des abus d’autorité. Elles ont aussi un rapport au pouvoir autre que celui des hommes, et qui pourrait utilement inspirer l’institution.

Le célibat des prêtres à interroger

De même encore, faudra-t-il bien regarder enfin d’un peu près ce qu’il en est du célibat ecclésiastique. Comment ne pas voir que ses justifications sont souvent empêtrées dans le regard difficile que l’Église porte sur la sexualité, quoi qu’il en soit des perspectives apportées récemment par la « théologie du corps » ? Comment ignorer que ce célibat paré d’un prestige quasi mystique conforte certainement une périlleuse position de surplomb du prêtre, en accusant encore sa singularité dans la communauté chrétienne ?

De même l’aveuglement d’une partie de la hiérarchie ecclésiastique devant la gravité des crimes commis est une réalité très dérangeante, qu’il faudra bien aussi questionner. Comment comprendre l’incapacité de clercs à reconnaître les ravages produits par la pédophilie et les dispositions sectaires d’un certain nombre d’institutions, où la perversion sexuelle se sera associée à l’emprise sur les consciences ? La société autour de nous – qui est loin évidemment d’être indemne des vices qui font scandale aujourd’hui – est en droit de s’interroger.

« La voix du pape François est nécessaire à l’Église… »

Il apparaît en tout cas que tous, dans l’institution, sont forcément peu ou prou touchés par le drame du moment, s’il est bien vrai que celui-ci a rapport à un ordre ecclésial problématique, qui favorise en particulier une coupable loi du silence. Cela étant, et face aux manœuvres intra-ecclésiales qui ajoutent un peu plus à la crise, il importe aussi que, nous, laïcs, affirmions avec force que nous avons un besoin impérieux du ministère du pape François. Celui-ci reste en ce monde incertain et menaçant la plus haute autorité morale capable de prendre le contre-pied de funestes idéologies nationalistes, de politiques de repli et d’exclusion, qui attisent les haines dans le monde et assombrissent l’avenir de la communauté humaine. Le pape François reste aussi, pour l’Église, le pasteur essentiel qui, avec une fermeté exceptionnelle, donne consistance au sacerdoce des baptisés, encore récemment avec Gaudete et exsultate, désenclavant la sainteté pour la retrouver comme vocation de tous, indissociable du baptême.

« … nécessaire au monde ».

Il est aussi celui qui aura rappelé, avec une vigueur qui fait franchir à son discours les frontières de l’Église, que la miséricorde est le tout du message évangélique, et donc aussi ce qui est à mettre en œuvre dans notre relation au monde, par-delà les étroitesses moralisatrices qui défigurent la parole du monde catholique. Il ne s’agit pas d’entrer ainsi dans une logique de rapports de force, qui se pratique beaucoup à l’intérieur de l’Église. Mais de faire savoir, comme chrétien, ce dont nous avons besoin de la part de l’institution pour tenir fidèlement la mission confiée par le Christ.

Osera-t-on rappeler à ceux qui manœuvrent en eaux troubles, en réclamant une démission du pape, qu’il faudrait alors « dé- canoniser » Jean-Paul II pour sa relation à Maciel et aux Légionnaires du Christ ? On voit le vertige ! Certes, l’obstination du pape François depuis son élection à invoquer et à communiquer « la joie de l’Évangile » peut paraître aujourd’hui totalement irréelle. Sauf à plonger suffisamment profond dans l’Évangile, précisément, pour faire face à la situation.

 

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