Homélie vigile pascale d’Enghien

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Une fois par an, depuis environ 3600 ans, chez nos frères juifs, lors de la nuit pascale, le plus jeune des enfants pose une question à son père au cours du repas qui réunit toute la famille, il demande : « Père », « pourquoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? ». Et invariablement son père répond : « C’est la nuit où le Seigneur nous a délivrés de la Maison d’Esclavage ».

Pour nous, ce soir, réunis dans cette église : « En quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? », nous pourrions répondre : « C’est la nuit où nous étions dans la tristesse et la peur et le Seigneur nous en délivrés ». C’est la nuit où Marie-Madeleine, Marie, mère de Jacques et Salomé, toutes tremblantes allèrent au tombeau en se demandant qui leur roulerait la pierre qui ferme le tombeau de Jésus. Et arrivées au tombeau, elles découvrent non seulement la pierre roulée, mais aussi le tombeau vide, et surtout elles entendent ce message inouï qui les délivre de toute peur : « vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité ! » Et cette nuit de la résurrection fait écho à beaucoup d’autres nuits dans la Bible : à la nuit de l’exil à Babylone, où le peuple a été formé par la parole d’espérance du prophète Ezéchiel ; à la nuit de l’esclavage en Egypte quand Moïse tout craintif allait voir Pharaon pour qu’il laisse partir son peuple ; à la première nuit de la Création, quand rien n’existait et que le Seigneur par sa Parole créa la lumière, le monde et toutes ces créatures. « Il y eut un soir, il y eut un matin : ce fut le premier jour » (Gn 1,5). Il n’est pas dit d’ailleurs : « il y eut un matin, il y eut un soir » mais bien le contraire ! Comme si, dès le début, Dieu voulait nous dire qu’il nous a créés en vue de la lumière du jour, et non pas pour la nuit de la mort. La Résurrection révèle alors le projet de Dieu depuis les origines. La Résurrection n’est pas un coup de baguette magique réservée à Jésus. Elle est l’achèvement de la création, elle dit le but ultime de la vie : être en communion avec Dieu.

Josiane, Latifa-Simone, Johanna et Mickael, pour vous, « en quoi cette nuit est-elle différente des autres nuits ? » C’est la nuit de votre baptême, la nuit où vous allez être plongés dans la mort et la résurrection du Christ, la nuit où vous allez mourir à vos péchés pour ressusciter avec le Christ, en lui, et ne faire plus qu’un avec lui. Je pense que cette nuit restera marquée à jamais comme la nuit de votre illumination, la nuit où le Seigneur qui vous a créé par amour, qui est présent à votre cœur depuis toujours, que vous avez découvert en vous, qui vous a appelés, vous a inondé de sa Lumière et de sa Vie.

Avant vous, un Africain, originaire d’Hippone, l’actuelle Souk Ahras en Algérie, étudiant et professeur de lettres à Carthage en Tunisie, saint Augustin a cherché aussi longtemps la Vérité et le Seigneur. Il a finalement trouvé le Seigneur au plus profond de son cœur, et a reçu le baptême des mains d’Ambroise à Milan. « Bien tard je t’ai aimée, O Beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors. Et c’est au-dehors que je te cherchais. (…) Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi. (…) Tu as appelé, tu as brillé, tu as exhalé ton parfum, j’ai respiré et j’aspire à toi, j’ai faim et j’ai soif de toi. Tu m’as touché et je suis enflammé pour la paix qui est la tienne » (Confessions X, 27, 38). C’est un passionné qui parle de son Seigneur comme le Bien-aimé, et il me semble que vous pourriez en dire presque autant. « J’ai trouvé Celui que mon cœur aime, je l’ai saisi et ne le lâcherai plus » (Ct 3, 4).

Dans la nuit de Pâques, les femmes reçoivent un message essentiel : « il n’est pas ici », celui que vous cherchez, « il est ressuscité » (Mc 16, 7).

« Il n’est pas ici », nous dit l’Evangile. Oui, il n’est pas ici, il n’est pas dans tout ce qui est une réalité dépassée, morte. Il n’est pas ici, il est dans tout ce qui fait que la vie l’emporte sur la mort.

Aujourd’hui, le Christ est crucifié quand ce qu’il enseigne et ce qu’il incarne perdent tout éclat, toute vérité. Lorsqu’on y croit plus. Le Christ est crucifié quand sa prédication est morte : quand on ne peut plus croire en la valeur inestimable de l’amour et de la justice, quand on ne peut plus croire en l’homme, en la grâce, en la merveille dont il est capable. Le Christ est crucifié quand meurt le Dieu qu’il incarne. Quand on ne peut plus croire en un Dieu de liberté, en un Dieu amoureux du monde qui sans cesse l’enrichit de nouvelles possibilités.

A l’inverse, aujourd’hui, le Christ est ressuscité quand ce qu’il incarne devient vrai. Quand la confiance en soi, le refus de la résignation, la foi en l’avenir, l’optimisme de croire que le meilleur est pour demain, le Christ est ressuscité quand tout cela l’emporte sur ce qui nous brise et nous condamne. Ce Christ qui meurt et qui ressuscite n’est pas une figure du passé mais une réalité présente.

Le christianisme est né aujourd’hui. Lorsque la pierre du tombeau est roulée et que la vie l’emporte à nouveau, redevient insistante, et reprend le dessus, malgré tout. Comme dans le deuil, où la vie qui reste après la mort des autres, est redevenue possible, sans trop que l’on sache pourquoi, ni comment. S’il est une raison, et peut-être une seule, d’être fier et heureux d’être chrétien, c’est de se savoir né de cette pierre roulée, c’est d’être l’enfant de cette conviction folle, pugnace, combative, joyeuse, passionnée que rien ne peut tout réduire à néant : aucun échec, aucun drame, aucune mort, aucune maladie, aucun effroi. « En tout cela nous sommes les grands vainqueurs, grâce à Celui qui nous a aimés ».

Amen.

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