Au début du récit de la passion, Jésus dit ces paroles étonnantes : « Je vous le dis, partout où l’Évangile sera prêché, on racontera aussi ce que cette femme a fait. »
Qu’est-ce qu’a fait cette femme ? Elle a acheté un flacon de parfum de très grande valeur, et elle l’a versé sur la tête de Jésus. Et les disciples, un peu « ronchon », ont dit qu’elle gaspillait plus de trois cents pièces d’argent. Et ce gaspillage est mis au même niveau que l’évangile ! Plus, il vient compléter l’évangile, comme si ce que le Christ avait dit et fait ne suffisaient pas pour dire l’essentiel et qu’il fallait y ajouter le témoignage de cette femme.
Qu’est-ce que le geste de cette femme peut nous apporter ? D’abord, ce geste a été essentiel pour Jésus dans ce moment particulier de sa vie. Mais ce geste est aussi un mode d’emploi de l’Évangile.
Le geste de cette femme est important pour Jésus. Son geste de tendresse soutient Jésus alors qu’il s’avance sur le chemin de sa passion. Ce geste lui donne du courage. Il est touché par la bonté de cette femme. Il y a de quoi être réconcilié avec l’humanité. Quand on voit cette femme faire ce qu’elle peut, malgré les gens qui la critiquent et se moquent, on se dit qu’il y a de belles personnes et que l’humanité en vaut la peine. C’est vrai qu’il y a tant de péché, de lâcheté, de mensonge, de colère et de haine en ce monde, il y a tant de médiocrité, de mauvaise volonté et de brutalité. C’est vrai, mais un seul geste de bonté gratuite, un seul geste de tendresse peut nous réconcilier avec la vie, avec l’humanité. Pour peu qu’on y fasse un peu attention, il y a mille occasions de s’émerveiller ainsi, mille occasions de se dire, en regardant le geste de quelqu’un : comme c’est touchant ! Et de se sentir joyeux. En nous invitant donc à nous rappeler du geste de cette femme, le Christ nous invite à voir le monde avec le regard de Dieu, qui sait s’arrêter sur ce qui est beau.
C’est vrai, les disciples ont raison, le geste de la femme est discutable. C’est un véritable gaspillage ! Mais critiquer, c’est s’aigrir et passer complétement à côté de la beauté du geste de cette femme, à côté de la beauté de la vie, à côté de l’Évangile vécu qui consiste à avoir ce regard qui saisit la beauté d‘un geste.
Tout n’est pas perdu. Le geste libre de cette femme est un hommage rendu au Christ, pour ce qu’elle a reçu de lui, quelque chose qui l’a rendue plus vivante, plus libre, plus porteuse d’émerveillement et de tendresse que tous les ricanements. Le Christ l’a ressuscitée.
C’est peut-être possible de vivre sans recevoir de geste de tendresse, mais c’est dur, c’est une souffrance, c’est une croix pire que la croix et les clous. Jésus a été sensible au geste de reconnaissance et de tendresse de cette femme. Et cela lui a fait du bien à ce moment difficile pour lui. Ce geste lui a permis de voir que sa vie n’était pas perdue, ratée, et peut-être même que cela l’a aidé à croire en la résurrection.
Avec un geste de reconnaissance et de tendresse nous pouvons aider une personne à être assez forte pour accomplir sa vocation. Ce jour-là, Jésus a reçu la force d’aller au bout de sa mission de Christ grâce à un geste un peu ridicule, un peu fou, mais qui disait la reconnaissance et la tendresse.
L’importance qu’a eu le geste de cette femme pour Jésus mériterait donc à lui seul qu’on se souvienne d’elle. Mais il y a plus que cela encore dans ce geste, il est comme un mode d’emploi qui doit accompagner l’Évangile du Christ.
En effet, la mort et la résurrection du Christ peuvent être mal comprises. La mort de Jésus est parfois comprise comme un mépris du corps, un mépris du monde, un encouragement à devenir de purs esprits, ou à considérer comme mauvais les joies et les plaisirs qu’offrent la vie. Ou encore à considérer que Dieu prendrait plaisir aux souffrances du Christ pour racheter nos fautes…
Non, Dieu ne prend plaisir en aucune souffrance. Dieu veut que la vie en ce monde soit belle, joyeuse, et libre. Si Jésus marche librement vers la mort, c’est à cause de la méchanceté et de l’aveuglement des hommes. C’est par amour, c’est parce qu’il reste fidèle à son amour pour nous, malgré nos infidélités, que Jésus souffre, non parce qu’il méprise son corps.
Comment faire alors pour que les générations qui entendront le récit de sa passion ne pensent pas que le corps n’est rien, que la vie en ce monde ne vaut rien, qu’il est bon de la sacrifier ? Ce qui est faux, car l’Évangile c’est l’inverse. L’Évangile c’est que Dieu a tant aimé le monde qu’il fait tout pour lui, que Dieu aime tant chacune de nos vies, qu’il aime nos élans de tendresse, nos gestes de bonne volonté, qu’il aime l’odeur d’un parfum offert, qu’il en est ému et touché.
Et bien justement cette femme nous donne de bien comprendre le geste de Jésus qui donne sa vie pour nous, elle nous montre l’importance qu’a pour elle cette vie que Jésus va devoir sacrifier, la vie biologique. Elle nous montre la beauté de cette vie, qu’il faut en prendre soin. C’est un complément indispensable au témoignage de Jésus. L’ensemble des deux témoignages, le sien et celui de cette femme se complètent magnifiquement. Lui, le Christ apporte sa part essentielle d’Évangile, la primauté du don de Dieu sur tout autre réalité. Elle, cette femme anonyme montre l’importance de la vie en ce monde. L’infinie beauté de la vie en ce monde. A la suite de cette femme, prenons soin de cette vie, défendons-la, et découvrons comment le Seigneur nous appelle à la rendre toujours plus belle par nos gestes de tendresse.
Amen.