La peur n’est pas toute notre vie, Dieu merci. Grâce à lui existent aussi la paix, la tendresse, la solidarité, la gratuité, la fidélité. La sagesse nous apprend accueillir la vie quotidienne comme un don. Et à dire merci. Merci pour ce qui nous est agréable, merci pour ce qui nous est difficile. Pourrait-on dire aussi : confiance en tout ce qui nous fait peur ? Tu es béni Dieu de l’univers pour chaque instant de notre vie.
Le Seigneur nous demande t-il de ne pas avoir peur ?
Ce qu’il veut c’est que nous ne soyons pas paralysés, anéantis, vulnérables, sous humains, battus à l’avance, prisonniers, mais vaillants pour nous et pour notre entourage. vaillants avec lui.
Ce qui va guider notre réflexion d’aujourd’hui, c’est la parole du Christ : « Veillez et priez pour ne pas entrer en tentation ». (Matthieu 26) et cette autre parole : « Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour le Maître va venir » (Matthieu 24).
La peur n’est pas une tentation, mais c’est une épreuve ressentie sur une épreuve vécue. Cela peut mener à nous paralyser, à nous anéantir ou à nous tirer vers le néant, à nous faire choisir le pire, le mal.
I
Une leçon spirituelle du Père Tallec : Comment veiller :
Dans un livre de sagesse, le père Pierre Tallec a abordé la peur dans nos vies, sous l’angle positif de « la Sérénité », c’est-à-dire : la peur à dépasser. La sérénité est une vertu humaine qui s’acquiert d’une part, et qui prend une dimension souveraine quand elle est fécondée par l’Espérance chrétienne. La sérénité devient une paix intérieure, mais n’arrive pas de façon magique. D’un côté, il y a l’espérance, que Tallec nomme : « le Souffle de Dieu dans nos essoufflements ». Et de l’autre côté, il y a une espérance en Dieu qui sollicite notre confiance, notre courage et nos décisions.
« En quoi consiste ce que Dieu attend de nous dans les épreuves », se demande le père Tallec ? 3 choses :
De la lucidité, du courage et du don de soi.
1- Cela consiste, d’abord, à regarder nos peurs en dépassant la zone d’ombre qui brouille la réalité et nous paralyse. Là se situe la prière pour voir clair.
Le philosophe Alain écrivait que « c’est de la navigation que nous vient cette idée paradoxale que, pour savoir où l’on est, il faut regarder les étoiles ». L’important est de regarder plus haut. L’important est d’échanger avec ceux et celles qui connaissent le ciel. Rien de pire, écrit Tallec, que ceux qui refoulent leur peur, la cachent et l’enfoncent en eux comme un ressort qui ne demandera qu’à rejaillir violemment et qui peut ressortir en désespérance Avouer nos peurs au Seigneur : c’est la prière. Confier nos peurs à des amis : Veiller les uns sur les autres et prier les uns pour les autres.
C’est peut être là que l’on peut chercher l’accompagnement humain et spirituel.
2- Après la lucidité, l’affrontement. Le Seigneur Jésus guérit l’homme paralysé, mais lui dit cependant « Lève-toi ! ». Le Seigneur le fait participer à son combat contre le mal qui est en lui. Jamais le Seigneur ne méprise ce qui nous reste de désir, d’imagination pour nous en sortir, de force pour guérir. Guette-t-il notre combat jusqu’au bout, le jusqu’au bout qui ne serait qu’un cri ? Attend-t-il que, de la barque, nous crions notre prière : « Seigneur nous périssons ! » avant de nous faire saisir à sa façon, sa réponse par amour ? L’important, en toutes situations, le Seigneur attend qu’avec son aide nous soyons debout. Thérèse disait, « que nous soyons dignes ! ».
3- Accepter de laisser le Seigneur nous conduire, invités que nous sommes à dépasser nos forces. à accepter d’aller au-delà de ce dont nous sommes capables. Vouloir sauver sa vie à tout prix, c’est la perdre, consentir à la perdre, ou mieux à la donner, à l’offrir, la sauvera. Quand nous aurons vu se détruire nos rêves, nos remparts, nos précautions, nos assurances et même nos forces, souhaitons qu’il reste en nous le don inestimable de la foi, c’est à dire : le souvenir de la présence du Christ Fils de Dieu, qui s’est anéanti par amour et s’est élevé dans la gloire par le Croix.
La foi, dit sainte Thérèse, c’est malgré tout dire « Oui ».
Perdus nous aussi, mais avec cette fois sans la peur « nous sommes les grands vainqueurs avec celui qui nous a aimés » et nous libère. « Qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? La détresse, la peur, le danger ? « Ni la vie ni la peur ni la mort, rien ne pourra nous séparer de l’amour qui est en Christ ». (Romains 8) « J’estime, écrit saint Paul, que les souffrances du moment présent ne pèsent pas du même poids que l’éclat qui va se révéler en nous ».
II
Quelques moyens spirituels relevés par le Père Gueullette, pour mettre notre prière en attente de Dieu.
Dans une homélie du V°siècle « Notre pensée se porte bien vers Dieu quand on s’applique à la prière. Mais il faut aussi, même quand on est absorbé par des occupations et des préoccupations de la vie habituelle (agréables ou non), y mettre « le Souvenir de la présence de Dieu ». Par cette simple pensée, toute notre vie ordinaire devient spirituelle.»
Dans son ouvrage « La prière silencieuse dans la tradition chrétienne », le Père Jean-Marie Gueullette nous parle de cet exercice spirituel, parmi d’autres, «le Souvenir de la présence de Dieu ».
S’il est important de nous former à la prière, à participer à l’Office, à la méditation, à vivre des sacrements et à pratiquer les œuvres chrétiennes, il importe aussi de nous familiariser au « souvenir de la présence de Dieu », de nous entraîner au cours du quotidien de la vie, à Le retrouver sans grande parole. Les Pères du désert appelaient cela « l’oraison du simple regard ». St François de Sales parlait, lui, d’une élévation de l’âme rapide comme une flèche, une contemplation riche mais pauvrement réduite à juste un lien d’amour. C’est une façon de prier et de veiller. Que nos personnes s’habituent à se reprendre ainsi en Dieu fréquemment, dès qu’il le faut, pour qu’au jour de la paralysie par la grande peur, ou de la perte de conscience, au jour de la vie qui nous quitte, ayant tout perdu, il nous reste l’oraison du simple regard, ou l’oraison d’une simple pensée, un seul mot, le seul nom précieux, le saint Nom, celui de Jésus. Le nom qui contient le savoir exact sur « Dieu sauve » qui engendre le pardon, la libération et la grande Vie qui s’ouvre. « Jésus » le seul mot sans peur, le seul mot vivant quand tous les autres mots sont partis.
Peut-être quelqu’un, près de nous, à ce moment là, Dieu merci, prononcera ce beau nom pour nous, mu par la prière à la Vierge tant de fois implorée : « Priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à cette heure dernière ».
Si l’élévation de notre cœur vers Dieu traverse une vie, sans doute sera-t-elle présente à la mort. Sainte Thérèse nous l’a enseigné.
III
Sainte Thérèse de Lisieux, maîtresse spirituelle de la peur assumée.
Docteur de l’Eglise, Thérèse de l’Enfant Jésus et de la sainte Face nous a montré l’exemple. Les derniers entretiens de la petite sœur carmélite, sa sœur Agnès les a consignés dans le « Carnet jaune ».
J’ai relevé quelques paroles de la sœur toute malade durant les cinq derniers mois de sa vie.
Le premier mai 1897 : « Ce n’est pas la mort qui viendra me chercher, c’est le Bon Dieu. »
20 mai : « On me dit que j’aurai peur de la mort. Cela se peut bien. On verra bien. Pour l’instant je suis heureuse avec Jésus. »
27 mai : « Le Bon Dieu m’a toujours soutenue. Je suis sûre qu’Il continuera son secours jusqu’à la fin ».
4 juin : « J’ai ressenti comme les angoisses de la mort dans les souffrances de ces jours-ci, jusqu’à avoir toutes sortes de pensées extravagantes qui me viennent à l’esprit. Je me demande comment je ferai pour mourir».
6 juin : « Je voudrais pourtant m’en tirer avec honneur, mais cela ne dépend peut-être pas de nous. Je le dis à la sainte Vierge qui en fait ce qu’elle veut ».
9 juin : « Il est dit dans l’Evangile que le Bon Dieu viendra comme un voleur. (Matthieu 24/43) Il viendra me voler tout gentiment. Je ne l’aimerais pas moins s’Il ne venait pas me voler ».
7 juillet : « Le Voleur n’est pas à la porte, il est entré. Si j’ai peur du Voleur ? Comment voulez-vous que j’aie peur de quelqu’un qui est l’Amour ? »
10 juillet : « Mon voleur se cache. Il veut se faire attendre. Je pleurerais trop si je vous racontais mes peines, mais le Bon Dieu me donne juste ce que je peux porter ».
24 août : « Il me faut du courage pour essayer de faire un simple signe de croix ».
22 septembre : « Quelle grâce d’avoir la foi. Si je n’avais pas eu la foi… »
29 septembre : « Je ne saurai jamais mourir ».
Le lendemain 30 septembre 1897 : « Oui, »,
plus tard : « mon Dieu ».
« L’oraison de la simple parole » et Thérèse s’est éteinte.
Elle n’a pas triché avec la réalité qui fait peur.
Thérèse, notre sœur courage, elle qui se nommait « le vaillant petit soldat « a combattu la peur avec les secours divins.
Elle n’a pas tout ramené à elle. Elle luttait pour accompagner les missionnaires dans leur marche de l’évangélisation.
Elle n’a pas eu peur de perdre son être, en ne gardant que Jésus.
On pense à la parole de l’épître de Jean « De crainte, il n’y en a pas dans l’amour. Le parfait amour jette au dehors la crainte » (1Jean 4/18). La peur assumée dans l’amour.
A écouter Thérèse, dans le mystère de la mort, on aperçoit plus grand que les paroles elles-mêmes, on pressent qu’elle témoigne de cet autre monde en Dieu qui semble se révéler, qui est déjà commencé en vivant en intimité avec le Christ, le vainqueur de la nuit, en son mystère pascal.
« Saints et saintes de Dieu dont la vie et la mort ont crié Jésus Christ sur les routes du monde, priez pour nous ! »
J.P.