J’aimerais commencer par vous raconter un conte appelé le visage du roi. C’est un conte qui vient de la Perse, ce grand pays du Moyen-Orient, aujourd’hui l’Iran. De tous temps, la Perse a été un carrefour de civilisations. Un jour donc, le roi de Perse voulut qu’on fasse son portrait. Il convoqua les artistes les plus grands des royaumes voisins et il leur proposa un concours : représenter le roi.
Le roi de perse voit arriver toutes ces délégations les unes derrière les autres, celles qu’il avait convié. Arrivent d’abord les Hindous, avec de merveilleuses couleurs, des ocres et des bleus et des soieries spéciales d’un finesse exemplaire. On les met dans la salle qui leur dédié. Puis les Arméniens, avec une glaise, d’une finesse, d’un modelé, d’une souplesse étonnante, on les emmène dans leur salle de délégation. Après les Hindous et les Arméniens, les Egyptiens avec des outils et des ciseaux que l’on ne connaissait pas, d’une nature spéciale, et des blocs de marbre parfaits – on voit, il n’y a qu’à regarder chaque fois qu’on découvre une statue de Ramsès on est ébloui. Puis vient enfin la dernière délégation, les Grecs. Les Grecs arrivent simplement avec quelques sacs de poudre, cela crée un peu d’étonnement, mais on conduit les Grecs dans la salle qui leur était dévolue. Chaque délégation est donc dans la salle du palais qui leur a été confié et chaque délégation s’applique à donner la plus belle représentation du roi. Puis, au jour dit, le roi vient et voit d’abord les merveilleux tableaux en ocre et bleu des Hindous, puis les modelés des Arméniens, puis dans une autre salle les statues des Egyptiens, plus belles les unes que les autres, enfin il entre dans la dernière salle, celle qui avait été réservée aux Grecs. Ceux-ci n’avaient fait qu’une seule chose : avec leur petite poudre ils avaient frotté et poli la paroi de marbre de la salle, où ils se trouvaient de telle sorte que lorsque le roi entre dans leur salle il ne voit qu’une seule chose : lui-même reflété par la brillance du marbre, par le poli du marbre, qui était devenu comme un miroir. Bien sûr ce furent les Grecs qui remportèrent le concours ils avaient compris que seul le roi pouvait représenter le roi, il fallait être intelligent.
Cette parabole résume tout notre chemin de carême. Nous sommes appelés au cours de ce carême, comme au cours de toute notre vie chrétienne d’ailleurs, à représenter Dieu, à représenter le visage du fils de Dieu, à permettre au visage de Dieu de se refléter à travers toute notre vie, nos paroles et nos moindres gestes. C’est cela le but de notre carême. Devenir le visage de Dieu aujourd’hui. Le monde en nous regardant doit découvrir la miséricorde de Dieu, sa tendresse, sa bienveillance, sa patience, sa bonté, sa Vie plus forte que la mort. C’est immense.
Comment faire pour que notre vie sur terre soit un pur reflet de la Vie de Dieu ? Est-ce que nous pouvons le faire avec nos couleurs, avec nos peintures, avec nos modelés, avec nos outils, avec nos blocs de marbre ? Difficile ! Comment représenter Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut imaginer avec nos seuls outils ? Est-ce que nous pouvons refléter Dieu avec notre intelligence, avec notre force, avec nos efforts, avec nos mérites ? Difficile, Dieu est tellement plus grand, que nos efforts et notre bonne volonté. Le visage de Dieu, comment représenter cela ?
Alors il reste cette petite poudre du quotidien, on voudrait la mettre dans un coin, elle nous agace. Cette petite poudre du quotidien, qui nous use, qui use la paroi de notre âme, et tout un coup on découvre qu’à 70 ans on est plus usé, on est plus gentil, on est plus doux, on est plus compréhensif qu’on l’était à 30 ans. Et on retrouve un peu mieux cette image de Dieu qui avait été recouverte par tant de couches différentes de mauvaises habitudes, de péchés d’indifférence.
Cette petite poudre du quotidien, ce sont d’abord les évènements de notre vie, les joies, les imprévus, les épreuves parfois, les échecs. Tout cela, tous ces petits évènements, use, frotte et polit la paroi de notre âme. Je vous invite tous, moi le premier, à ne pas la considérer du tout comme si c’était contraire à notre vie, comme si c’était du négatif qu’il faudrait éliminer. Au contraire, c’est destiné à rendre plus lisse, plus lumineuse la paroi de notre âme, à faire de notre âme ce miroir le plus grand miroir celui où Dieu peut se reconnaître, celui du visage de Dieu. Accueillir notre vie telle que nous l’avons reçue, la prendre en main, ne pas rêver d’une autre vie, d’autres qualités que nous n’avons pas, envier les autres, non, admirer les qualités que nous avons et les faire fructifier, accueillir aussi nos fragilités pour qu’elles nous aident à nous tourner davantage vers le Seigneur.
Cette petite poudre du quotidien, c’est aussi la prière, l’aumône et le jeûne comme nous venons de l’entendre dans notre évangile. La prière nous libère de notre regard parfois dur sur notre vie, pour nous remettre devant le regard de Dieu, un regard qui nous aide à faire la vérité en nous avec la délicatesse d’un Père et d’une Mère. L’aumône, le partage, nous libère de tout ce que nous accumulons égoïstement chez nous pour découvrir que l’autre est un frère, que ce que je possède n’est jamais mien. L’aumône nous permet de rétablir la communion entre nous, la communion des biens et des dons que nous avons reçus. Le jeûne nous libère de notre avidité insatiable pour nous permettre de découvrir une autre soif et une autre faim en nous, celle de Dieu, pour nous permettre aussi d’expérimenter ce que vivent ce qui manque de tout. Ce jeûne nous rend plus attentifs à Dieu et aux autres. Le jeûne comme l’aumône nous débarrasse de tout ce qui ensable la source d’eau vive en nous. Ils nous permettent de redécouvrir cette image de Dieu gravée en nous au jour de notre création.
Ces cendres que nous allons recevoir sur nos fronts représentent un peu cette petite poudre du quotidien, cette petite poudre de la prière, de l’aumône et du jeûne, cette petite poudre du pardon que nous pouvons recevoir dans le sacrement de la confession. Savez-vous d’ailleurs qu’autrefois les cendres servaient à nettoyer le linge ? Ces cendres nous rappellent que le Seigneur veut nettoyer nos cœurs, les rendre plus resplendissants de la lumière de Dieu. Le pardon de Dieu veut arracher de nos vies nos cœurs de pierre, pour y mettre des cœurs de chair, des cœurs brûlant de son Amour.