« Tu aimeras » (Mt 22, 37. 39).
C’est l’attitude fondamentale que nous propose le Seigneur aujourd’hui dans notre évangile. C’est même pour lui ce qui résume toute la Loi et les Prophètes. Mais de quoi parle-t-on quand on dit : « tu aimeras » ? C’est vrai ce verbe « aimer » est tellement employé qu’on ne sait plus bien ce qu’il signifie. En français, je peux dire de la même façon : « j’aime le PSG », ou « j’aime le chocolat », ou encore « j’aime mon épouse », et pourtant il ne s’agit pas du tout du même amour. Dans d’autres langues, on utilise parfois des mots différents pour parler de tous ces amours. En italien, par exemple, pour exprimer mon amour à celle avec qui je veux construire toute ma vie, je peux dire : « ti amo », mais il est encore mieux de dire : « ti voglio bene », c’est-à-dire littéralement : « je te veux du bien ». C’est cela l’amour : vouloir le bien de l’autre, ne pas chercher ce qui nous fait plaisir, mais chercher d’abord le bien, le bonheur de l’autre.
« Tu aimeras » qui ? « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu », « tu aimeras ton prochain comme toi-même ».
C’est l’amour en trois dimensions : le Seigneur, le prochain, moi-même. N’oublions pas cette dernière dimension, elle est souvent occultée. Bien souvent, nous ne nous aimons pas, nos pensées, nos paroles ou nos actes nous font hontes, nous pensons que nous ne méritons pas d’être aimé. Et pourtant le Seigneur nous demande d’avoir un regard bienveillant vis-à-vis de nous, comme le Seigneur porte ce regard sur chacun de nous lorsqu’il nous créa homme et femme : « il vit que cela était très bon » (Gn 1, 31). Nous devons nous souvenir que les trois dimensions de l’amour, le Seigneur, le prochain et nous-mêmes sont profondément liés. En effet, quand j’aime ma personne, c’est le Créateur que j’aime, Celui qui m’a donné un corps, une intelligence, des qualités, et des dons uniques. Quand j’aime le prochain, j’aime ce que Dieu a créé, a aimé, pour lequel il s’est offert sur la Croix. Quand j’aime le prochain, j’entre dans le projet bienveillant de Dieu pour chaque personne. Et saint Jean développera ce lien entre l’amour de Dieu et du prochain en affirmant dans sa lettre : « Celui qui n’aime pas son frère, qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit » (1 Jn 4, 20). Notre manière d’aimer les autres dit notre manière d’aimer Dieu.
« Tu aimeras » comment ? « Tu aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit ».
Le Seigneur ne dit pas : « tu aimeras un peu », « tu aimeras une fois dans la semaine le dimanche », « tu aimeras 35 heures par semaine », « tu aimeras beaucoup » … Non, il dit : « tu aimeras de tout ton cœur, de toute ton âme, et de tout ton esprit ». Chaque jour, c’est toute notre vie, c’est tout notre être qui est invité à aimer. « Aimer, c’est tout donner et se donner soi-même » (Ste Thérèse de l’Enfant Jésus). Il est intéressant de noter que Jésus a opéré un changement significatif dans l’ordre du Seigneur que l’on trouve dans le Deutéronome. Dans le Deutéronome, il est dit « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force » (Dt 6, 5), et non pas « et de tout ton esprit », qui ne se trouve que dans les trois Evangiles de Matthieu, Marc et Luc. C’est donc une marque significative des Evangiles et du message de Jésus. Cela veut dire que nos actes doivent être des actes d’amour, nos paroles doivent être des paroles d’amour, nos regards doivent être des regards d’amour, mais nos pensées, toutes nos pensées doivent aussi être des pensées d’amour. C’est terriblement exigeant.
« Aime et fais ce que tu veux » (Saint Augustin).
Vous connaissez tous cette bonne parole de saint Augustin, donné lorsqu’il commente la première lettre de saint Jean toute centrée sur l’amour. Il est intéressant de voir dans quel contexte elle a été prononcée. En effet, cela lui donne une plus grande profondeur encore. Il se trouve qu’un père de famille qui avait beaucoup de mal avec un de ses fils particulièrement turbulant était exaspéré d’entendre saint Augustin discourir sur l’amour. A la fin d’une homélie, il vient le voir en explosant : « comment veux-tu que j’aime mon enfant quand je suis obligé de le corriger sans cesse pour éviter qu’il ne fasse des bêtises toujours plus graves ? » Et saint Augustin dans l’homélie suivante revient sur l’amour en citant ce père, et en donnant alors son fameux adage : « aime et fais ce que tu veux ». C’est-à-dire : « aie la racine de l’amour dans tout ce que tu fais, ou désires faire et alors fais ce que tu veux car cela est fait par amour ». Si tu corriges ton enfant, corrige-le par amour, pour le bien de ton enfant, si tu dis des paroles bienveillantes, fais-le par amour et non par hypocrisie ou par aveuglement. Et vous voyez que tous nos actes même les plus simples peuvent devenir des actes d’amour. Je peux cuisiner par amour, je peux passer l’aspirateur par amour, je peux me reposer par amour, comme je peux donner ma vie par amour. Chacun de ces actes a la même racine d’amour. L’amour devient donc très concret : il investit tous les domaines de notre vie, personnelle, familiale, religieux et même sociale, comme le montre notre première lecture avec le devoir d’accueil des plus petits.
L’essentiel nous redit Jésus, c’est d’aimer.
« Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n’ai pas l’amour, je ne suis que bronze qui sonne (…). Quand j’aurais le don de prophétie et que je connaîtrais tous les mystères et toute la science, quand j’aurai toute la foi jusqu’à déplacer des montagnes, si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien. Quand je distribuerais tous mes biens, quand je livrerais mon corps aux flammes, si je n’ai pas l’amour, cela ne me sert de rien » (1 Co 13, 1-3).