Homélie du 23ème dimanche ordinaire à Enghien le dimanche 10/9/17

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On raconte cette histoire au sujet de Saint Philippe Néri, ce saint romain du XVI° siècle, un saint plein d’humour, fondateur des prêtres de l’Oratoire.

Un jour, une femme vient se confesser à Philippe Néri, s’accusant de dire du mal de son frère dans son dos et de le colporter partout. Saint Philippe Néri, après lui avoir donné le pardon de Dieu lui demande de réaliser une pénitence bien particulière :

  • « Allez au marché voisin. Achetez une poule récemment tuée et couverte encore de ses plumes. Puis marchez à travers les rues de la ville, en plumant la poule. Quand vous irez fini de plumer la poule, revenez me trouver. »
  • Et la voilà qui se rend au marché voisin, achète une poule, puis se met en route en la plumant, comme elle en avait reçu l’ordre. Bientôt elle revient vers son confesseur, empressée de lui faire part de la réalisation de sa pénitence.
  • « C’est bien, vous avez fidèlement suivi la première partie de la pénitence, accomplissez maintenant la seconde, et vous serez guérie. Retournez d’où vous venez, passez par les mêmes rues, et ramassez une à une toutes les plumes de la poule que vous venez de dépouiller ».
  • « Mais c’est impossible, s’écria la pauvre femme. Le vent les a emportées et dispersées ».
  • « C’est ainsi, ma fille, qu’il est impossible que vous rattrapiez toutes vos paroles médisantes et imprudentes. Allez et ne péchez plus. »

La médisance et les paroles malveillantes pourrissent nos relations humaines et fraternelles dans nos familles comme dans nos communautés. C’est un véritable poison.

Aujourd’hui notre évangile veut nous aider à faire évoluer nos communautés et familles, à assainir nos relations humaines et fraternelles. Comment ? En pratiquant avec plus de sérieux la correction fraternelle, centrale dans le discours de Jésus. « Si un de tes frères commet une faute, va le trouver, reprends-le seul à seul » (Mt 18, 15).

Reconnaissons-le, la correction fraternelle n’est pas à l’honneur aujourd’hui. Quand on a quelque chose contre son frère, on préfère dire du mal de lui dans son dos, en parler à tout le monde, et parfois rompre avec lui. Attitudes qui ont peu de chose à voir avec la correction fraternelle, qui nous invite au contraire à parler d’abord au frère intéressé au lieu d’en parler à tous sauf à lui, et qui nous invite à tout faire pour garder le lien avec lui au lieu de rompre avec lui, d’ailleurs Jésus ne cesse de l’appeler « ton frère ». Notons au passage la sagesse de la gradation : va d’abord parler avec lui seul à seul, va ensuite le voir avec deux ou trois autres ensuite, va le voir enfin avec toute la communauté, et s’il ne t’écoute pas, sépare-toi de lui.

Pour que la correction fraternelle porte du fruit, je retiens trois attitudes essentielles :

Tout d’abord, l’humilité. Cette rencontre fraternelle avec un frère qui a commis une faute doit se vivre dans l’humilité. Il ne s’agit pas de le prendre de haut, de l’accuser, ou de le juger. Evitons les sentences qui commencent par « tu ». Tu as fait ci, tu as fait ça, tu n’as pas fait ceci, tu n’as pas fait cela. Le « tu » tue. Une telle attitude risque de le blesser, de le refermer sur lui-même et nos paroles n’auront aucune prise alors. Cette rencontre a besoin de se vivre dans la vérité et dans l’humilité, dans la franchise et dans la bienveillance. Ce sont deux êtres avec leurs limites, avec leurs qualités et leurs défauts qui se rencontrent. La correction fraternelle doit permettre au frère de s’exprimer, de dire son point de vue, de dénoncer aussi peut-être la paille ou la poutre qui se trouve dans notre propre vision. Souvenons-nous des paroles du Christ : « Comment vas-tu dire à ton frère laisse-moi retirer la paille de ton œil, quand tu as une poutre dans le tien ! » (Mt 7, 4). Cette correction doit nous remettre les uns et les autres à nus devant la vérité.

Ensuite la prière. « Si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux » (Mt 18, 19). Avant d’aller à la rencontre de notre frère, prenons le temps de la prière. La prière apaise, la prière purifie notre regard, la prière nous permet de distinguer l’essentiel du superficiel. Demandons également au Seigneur dans la prière son Esprit de vérité, son Esprit de sagesse pour qu’il nous aide à discerner comment, avec quels mots, à quel moment rencontrer mon frère, pour que cette rencontre porte des fruits de conversion et de réconciliation. C’est le Seigneur qui doit guider nos attitudes et nos paroles, et non nos sentiments, notre colère ou notre vengeance. Portons également dans la prière notre frère, pour que le Seigneur fasse grandir notre fraternité.

Enfin, l’exigence de la pluralité. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là au milieu d’eux » (Mt 18, 20). Est-ce que cela veut dire que lorsque nous sommes seuls le Seigneur ne serait pas présent ? Non, bien sûr, il l’a promis d’ailleurs à Moïse comme à Elie. Ce verset veut donc nous dire quelque chose d’autre : « Dieu peut donner toute sa mesure à la condition que deux ou trois soient réunis au nom du Christ ». Ce verset nous dit l’exigence de la pluralité (ne soyons pas seul si nous voulons que Dieu agisse pleinement dans notre vie). Cette exigence de la pluralité se déploie dans plusieurs aspects : la pluralité permet de découvrir tous les aspects du réel, à plusieurs on peut vous voir tous les facettes de la réalité, ce qui est plus difficile seul, la pluralité permet de conjuguer tous les talents et de coopérer toutes les énergies. Notre correction fraternelle sera d’autant plus fructueuse que nous sachons cultiver cette exigence de la pluralité, et que nous voyons la grâce de vivre avec des personnes différentes.

Peut-être avons-nous déjà essayé plusieurs fois de parler sans succès à notre frère, et peut-être sommes-nous désormais désabusés. Pensons alors à l’invitation du Christ à Pierre que nous avons entendu jeudi à l’évangile : « va jeter les filets au large ». Et pensons à la réponse de Pierre : « nous avons peiné toute la nuit sans rien prendre, mais sur ta parole nous allons repartir et jeter les filets ». « Nous avons peiné jusqu’à présent dans cette correction fraternelle, nous n’en voyons aucun fruit, mais sur ta parole, Seigneur, nous allons aller au large et recommencer » pour qu’un chemin de dialogue, de conversion et de réconciliation s’ouvre dans nos cœurs.

« Aujourd’hui ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur »

 

 

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